samedi 3 mars 2012

FAIS PAS TON CINÉMA

Chronique ciné : « Les chiens de garde »

Triste constat ! Il fut un temps où les chiens  aboyaient quand passait la Caravane. Finie, cette époque où la roulotte de leurs maîtres excitait la révolte de la gent canine. Aujourd’hui, le Cador monte dans la Caravane. Il se précipite pour lécher les bottes de son maître et faire le beau,  saliver pour recevoir son sucre.

Le documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat qu’ils ont intitulé, par référence à deux titres de bouquins signés, l’un par  Paul Nizan, « les chiens de garde «  (1932) et l’autre par  Serge Halimi (1997), « les Nouveaux chiens de garde »,  raconte les mésaventures de ces journalistes empressés de satisfaire aux caprices de leur patron. Une série de tableaux instructifs nous fait participer, heureusement en tant que simples spectateurs, aux turpitudes de cette secte arrogante et puissante, composée de journaleux, d’économistes de bazar, de politiciens et financiers véreux (pléonasme) et de capitaines d’industrie à « l’intelligence économique » sur développée.

Quand on voit Arnaud Lagardère, rigolard, flatter la croupe d’Elkabach chez Drucker, comment ne pas penser à cette société du spectacle dont parlait Debord ? Un spectacle qui ne fait pas rire, car nous faisons lourdement les frais de la mise en scène. Bien sûr les pitreries d’Alain Duhamel s’égosillant à démontrer que la presse, les médias comme on dit, sont libres pour la lumineuse raison que plus de cent « chaines » (de télé) au lieu de deux seules du temps du Général,  rendent plus « libre » le téléspectateur de disposer d’informations diverses et concurrentes  et de mieux se faire son opinion, on peut rire. Mais le tragique c’est que ce personnage, comme ses complices, martèle chaque jour, sur tous ces fameux « médias », le discours du maitre ? Le chien Duhamel est bien au chaud dans la caravane.

Autre constat : depuis qu’il est à l’abri dans les palais dorés de ses protecteurs, le chien de garde devient hargneux et prêt à mordre celui qui ne plie pas l’échine. Ainsi voit-on  le journaliste Pujadas sur France 2 s’adresser à un délégué syndical d’une entreprise menacée de fermeture, pour l’inviter fermement à faire cesser les « violences » dont les patrons seraient victimes. De même voit-on le « porte flingue » Calvi, sur une autre chaine, se mettre en colère contre un jeune invité issu du monde des banlieues qui refusait de condamner la révolte de ses compatriotes. Le chien ne chante plus contre la caravane. Promu chien de garde, il mord ceux qui chercheraient noise à son patron.

Mais je ne vais pas tout vous raconter. A vous d’aller voir le film et de juger.

Ce qu’on peut cependant souligner, c’est que cette pertinente critique des journalistes repose sur leur attachement sans faille au monde des pouvoirs en place. Cette soumission, cette servilité du dogue ou du caniche bien dressé, non seulement en fait des porte voix, voire des porte flingues de leurs supérieurs, mais fait qu’ils s’enrôlent volontairement dans les milices politico patronales, et, ce faisant, en multiplient la force. Leur engagement dans le camp des « Dominants », dirait Bourdieu, en fait des ennemis de la justice d’autant plus pervers qu’ils déploient tout leur arsenal de décervelage et d’abêtissement de la Société.
 
Le combat pour recréer un monde journalistique honnête qui semble être proposé dans ce film, ne peut pas se limiter aux médias. Il est, sans aucun doute, étroitement lié à la bataille globale contre l’organisation capitaliste du Monde. Et, si l’on regarde le moment présent, celui de la propagande sinistre pour la fête  de la « Souveraineté Populaire » du mois de mai 2012, le rôle de ces chiens de garde est particulièrement néfaste. Car leur pitance est en jeu. Il faut conduire la foule habilement décervelée par leurs soins, à l’abattoir votatoire. Il leur faut un chef. Sinon, qui garder, quoi manger ? Alors, ils battent le tambour. Allez choisir, comme nous, un maître, ancien ou nouveau, peu importe. Pour nous, la gamelle est toujours fournie. Quant à vous, Peuple souverain, contentez-vous des restes. Et surtout, n’incommodez pas, par vos criailleries, ceux qui, généreusement nous offrent pitance. De toutes façons, ne vous faites pas de mouron. Comme dit l’autre, si les élections devaient changer quoi que ce soit, il y a fort longtemps qu’elles seraient interdites. Nos candidats, anciens ou futurs précepteurs, sont tous d’accord pour faire du bon Capitalisme. Dur ou mou, mais « Capital ». Vous avez vu en Grèce, cet automne. Quant les politiques, ces « strawmen »(1), comme dirait Bourdieu, ont voulu interroger le populo par référendum, avec risque de mordiller les mollets du Capital, on les a fait rentrer dans leurs tanières, ces révoltés hellènes qui aujourd’hui crèvent de faim. Rassurez-vous. Nous n’aurons pas à parler de « Chaos », comme Libé, à l’époque. Rien ne changera. Nous n’écrirons pas, comme notre collègue, chien de garde au journal « Le   Monde » : « …imagine-t-on un peuple accepter unanimement une purge aussi violente » et nous ne dirons pas que chez les peuples mécontents l’exercice de la souveraineté populaire est la pire des choses. (2))


ENVOI:

A peine de renoncer à être, à être soi, à être homme, à être journaliste, il faut faire face. Celui qui vit et donc  se révolte, dit Camus, est celui qui se retourne se dresse et fait face. C’est bien dans ce face à face avec ce qui l’entoure, ce d’où il sort, la Société, que l’individu se construit. C’est dans ce milieu ou il baigne qu’il développe sa propre capacité d’agir, exerce sa volonté personnelle, prend la mesure de sa force, exerce son esprit critique. C’est dans ce face à face, ce va et vient permanent qu’il apprendra à maîtriser les outils nécessaires à la compréhension de la Société qu’il affronte et de son propre rôle dans les conflits qui agitent ce monde. Et, pour celui qui se refuse à n’être qu’un chien de garde, l’appropriation de son métier de journaliste.

AZ  Mars 2012

(1) hommes de paille
(2) voir «  www.lesnouveauxchiens de garde.com