jeudi 26 janvier 2012

BOURDIEU 10 ans déja


PIERRE BOURDIEU… 10 Ans déjà…


En janvier 2002 disparaissait le sociologue »de combat », Pierre Bourdieu. Le bilan de cette décadente décade est lourd .  Depuis ces dix années, «…eh oui Gaston, ça n’a pas tellement changé. On peut même dire que ça a empiré, oui les « peineux » sont plus peineux qu’avant, quant aux rupins, c’est pire que le chiendent, ça r’poussse tout l’temps », comme le chantait, s’adressant au chansonnier des années 1900, Gaston Couté, notre ami Jean Claude Mérillon.

A Radio libertaire,  le 1er mars 2001, nous recevions Pierre Bourdieu dans l’émission « Chronique Hebdo » consacrée depuis des années à l’actualité au travers d’une analyse anarchiste. Ce sociologue qui savait « ouvrir sa gueule » n’avait pas que des amis, sauf peut être ceux  dont on demande à être « protégés », selon la formule bien connue « protégez-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge ». Parmi ces personnages le directeur de la revue « Esprit » le traitait de « singe savant, chef d’une voyoucratie intellectuelle ». Le directeur des « Temps Modernes » le baptisait le « Cardinal Ratzinger de la Science ».  Comparer Pierre Bourdieu à un « préfet pour la doctrine de la Foi », nouvelle appellation du chef de l’Inquisition au Vatican, témoignait de la décomposition d’une célèbre revue créée en son temps par Sartre.
Quant à nous, valeureux guerriers de la pédagogie anarchiste, il nous  fallait sauter sur l’occase !  Un délégué de la Papauté, un Cardinal chez les anars, c’était le scoop de la nouvelle année.  Quant à ces insulteurs, maintenant que leur Cardinal a disparu, ils sont bien capables de se repentir. On sait que de nos jours la « repentance » est « tendance ». S’absoudre soi même de ses errements ou ses crimes est plus simple que de demander leur appréciation aux victimes. Pour Spinoza, la pratique de la repentance n’était que le redoublement de la faute.

Pierre Bourdieu, lui, n’avait rien d’un fou de dieu, d’un cardinal : il avait toute sa raison. Son combat multiforme s’inscrivait dans une vaste perspective. Dessiller les yeux et les oreilles, désenfumer les cerveaux, stimuler les luttes des dominés en braquant le projecteur sur les armes des dominants. L’arme de la résignation religieuse ou doctrinale de la soumission à un « petit père des peuples », l’art de les enfermer dans la fatalité d’un état de fait interdisant tous les possibles. 

Raisons d’agir.

C’est dans ce contexte qu’était née en 1996 « Raisons d’Agir ». Collection éditoriale c’était surtout un programme de pédagogie active, de production d’ouvrages de critique sociale dans une langue la plus simple possible, accessible à tout un chacun. C’était en même temps un stimulant pour l’action, mais une action  élaborée à partir d’une ou plusieurs idées et fondée sur la raison. Il ne s’agit pas de faire de l’activisme, d’agir pour agir. On retrouve ici l’un des fondements de la philosophie et de l’entreprise anarchistes . Comme il le souligne lui même « On a trop identifié l’action à une espèce de précipitation. On se jette dans l’action, on réfléchit après. Je pense qu’il est important d’avoir des raisons élaborées, réfléchies, construites »  Au moment où nous l’invitions dans notre émission « Chronique Hebdo », Pierre Bourdieu venait de publier sur ce modèle :
Contre-feux 2.
Pour un mouvement social européen. Il présentait ainsi son propos : « L’analyse systématique du nouvel ordre économique mondial, des mécanismes qui le régissent et des politiques qui l’orientent, introduit à une vision profondément nouvelle de l’action politique ; seul le mouvement social européen qu’elle appelle serait en effet capable de s’opposer aux forces économiques qui dominent aujourd’hui le monde. »
Nous avions invité déjà certains auteurs qui avaient publié dans « Raisons d’agir ».On avait déjà reçu Serge Halimi et Loïc Wacquant, l’un nous parlant des médias, ces  « nouveaux chiens de garde » et l’autre de ces « prisons de la misère », ces cachots de la société concentrationnaire étatsunienne où la prison devient en fait le substitut au chômage ou à la précarité et où on fait des affaires sur la construction de prisons. Avaient fait l’objet de nos analyses deux autres ouvrages, l’un de Frédéric Lordon, « Fonds de pension, Pièges à cons » et de Laurent Cordonnier, « Pas de pitié pour les gueux ».

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, nous étions curieux de savoir ce qui avait poussé notre éminent invité à accepter de venir causer dans le poste à Radio Libertaire.
alors qu’apparemment les médias officiels ne l’attirent plus.

Un auditoire de qualité, une « cible » privilégiée

Les auditeurs de notre émission sur Radio Libertaire ne vont pas se moucher du coude. Pour notre invité qui considère les médias de révérence comme « repoussants »(a) et qui
 refuse systématiquement les interventions à la télévision et à la radio c’est par plaisir, par solidarité et par sympathie qu’il a répondu favorablement  à notre invitation. C’est aussi pour parler de son livre à des auditeurs qui sont, selon lui, parmi les destinataires privilégiés de ce livre. Et il précise : ce sont des gens dont j’aimerais bien être entendu. D’une part, parce que je pense que c’est parmi eux que ce que je dis a le plus de chance d’être compris et c’est aussi parmi eux qu’on peut trouver des gens capables de se mobiliser de cette manière nouvelle, c’est-à-dire de manière non encadrante. Et il est de fait que l’esprit hiérarchique de soumission à un chef, le comportement de troupier font partie de ce que combattent en permanence les anarchistes, sauf peut être les « apprentis » qui n’ont pas encore réussi à se défaire de leur « habitus ».

L’aspect caché de la domination

A travers le vocable « habitus », notre interlocuteur développe l’idée que, sans le savoir, sans en être conscient, nous acceptons sans le moindre doute, sans oser la contester ou la critiquer, un discours, une interprétation de la réalité comme « allant de soi », comme étant indiscutable ou fatal, comme une évidence universelle. Ce faisant nous acceptons la plus perverse des formes de la domination puisqu’elle semble ne pas toucher la réalité de l’exploitation économique et sociale du pouvoir capitaliste. La théâtralisation, la sacralisation du pouvoir formate notre inconscient ; Dans notre entretien Bourdieu évoque la satisfaction, la fierté inconsciente du dominé lorsqu’il est convié à la table du dominant, qu’il s’agisse d’un patron d’entreprise, d’un ministre ou d’un président de la république. Il nous rappelle cette photo, figurant dans son ouvrage « La Distinction », où l’on voit le chef de la CGT de l’époque, Georges Séguy assis à la même table que Giscard d’Estaing, l’air satisfait, fier comme Artaban, « dans ses petits souliers », écrivait Bourdieu. Et il précisait : je pense qu’il y a des habitus de classe, les gens ont la manière d’être de leur formation …. les compromissions, les soumissions ou les trahisons ne sont pas nécessairement conscientes et cyniques ; c’est bien pire…

Une autre forme de la manière, en perpétuelle évolution, dont les dominants fabriquent des miroirs aux alouettes pour piéger les dominés est la fausse réforme censée donner satisfaction à ceux qui critiquent les mécanismes de la domination, par exemple ceux de la reproduction des élites dirigeantes. L’exemple évoqué ici est celui de l’initiative du directeur de Sciences Po (qui a lu « Les Héritiers », proposant de faire entrer dans son établissement quelques jeunes de banlieues, sans qu’ils aient à passer un concours.

Parmi les acteurs ou les relais de ces techniques perverses de manipulation Bourdieu n’oublie pas la police et la justice chargées de défendre un ordre établi injuste non plus que ces fameux chiens de garde : … Si la police et la justice sont le bras visible de cette répression symbolique, la tête souvent c’est le corps des intellectuels journalistes, ces gens qui font semblant de penser… Ces gens-là passent leur temps à faire du travail de police symbolique, du maintien de l’ordre symbolique, de reproduction de l’ordre moral ; ils ont pris la place des curés.

L’Europe
C’était le sujet phare ; le livre de Bourdieu, prétexte à notre entretien s’intitulait « Pour un mouvement social européen ». Cette pauvre Europe, déjà malade à l’époque, béquillarde depuis sa naissance puisqu’elle était le rejeton prédestiné au malheur d’un  banquier formaté aux Etats Unis, un certain Jean Monnet et d’un aspirant à la prêtrise reconverti dans la politique d’inspiration vichyste et chrétienne, un nommé Robert Schumann. On a vu depuis que cette Europe de la banque et du conservatisme ne se préoccupait guère de justice sociale. L’Europe des marchés, du profit, du commerce , indifférente au sort des peuples, destructrice des services publics de la santé, de l’éducation, du transport ignore toute morale. Elle ne peut qu’être en permanence « en crise », comme le proclament avec cynisme se dominants. Le socle de cette construction européenne est donc le commerce. Voici l’avis d’un géographe anarchiste de la fin du 19 ème siècle, Élysée Reclus sur ce qu’est le commerce : Il commence par être honni : ce fut une honte de trafiquer, et maintenant c’est la gloire par excellence….
… le principe du commerce étant par sa nature même, égoïste, personnel, insoucieux de tout intérêt étranger,…il en résulte que, de nos jours encore, l’opinion publique et les lois officielles respectent le malheureux qui cherche dans le crime, dans l’avilissement systématique d’autrui, les
éléments de sa fortune…
 Courageusement, en 2001, notre invité cherchait déjà des remèdes. Il imaginait une utopie réaliste consistant à faire renaitre le jumeau mort né, relancer d’une relation entre les peuples d’Europe fondée sur la justice sociale. Même pour un cardinal l’entreprise était surhumaine. Et il faut dire que, sur ce sujet, la controverse fut courtoise mais vive. En effet pour notre sociologue l’Europe est un leurre, l’Europe fonctionne comme un leurre, comme un masque mais en même temps, il insiste sur le fait qu’il faut “plutôt lutter pour la transformation démocratique d’institutions anti-démocratiques, qu’il vaut mieux radicaliser, et non pas annuler, le projet européen, qu’il faut remplacer la Commission, parce qu’elle serait anti-démocratique, par un exécutif responsable devant un parlement, etc., élu au suffrage universel”. Alors ces trois affirmations, apparaissent comme timidement  réformistes, par rapport à ce que serait un masque ou un leurre. Certes Bourdieu reconnaît que l’Europe cache de plus en plus mal le fait qu’elle n’est qu’une sorte d’appendice associé par des accords de libre-échange avec les Etats-Unis, mais il pense nécessaire de se donner , dans le combat du mouvement social, un objectif européen et non pas national. Le combat contre chaque gouvernement national ne serait qu’une mystification car dit il, les gouvernants sont asservis aux puissances économiques et propagandistes : en fait  ce sont des gouvernements fantoches. Les gens qu’on voit à la télé, Chirac, etc. sont des “Strawmen”, des hommes de paille. Mais il croit qu’il existe encore dans certains pays d’Europe des syndicats combatifs et qu’on peut concevoir une nouvelle forme de mobilisation capable de sauver ce qu’il y a encore d’intéressant en Europe : un certain syndicalisme, etc. C’est peut-être naïf mais il faut bien donner un objectif... Sinon quoi faire ?  De même croit il sérieusement qu’un gouvernement européen, remplaçant la Commission européenne et élu au suffrage universel pourrait changer la donne ? Une telle proposition apparaît e contradiction avec l’affirmation que le combat du mouvement social européen pourrait se fonder sur “des mouvements actuels (2001)  qui ont des traits communs, proches en cela de la tradition libertaire ; ils sont attachés à des formes d’organisation d’inspiration autogestionnaire, caractérisées par la légèreté de l’appareil et permettant aux agents de se réapproprier leur rôle de sujets actifs”.

Élire ?

Encore un sujet passionnant et d’actualité à quelques semaines de la convocation du Synode présidentiel. Et, déjà en 2001, pour nous, anarchistes, on ne voyait pas en quoi un suffrage universel, dans des conditions dans lesquelles en effet les acteurs qui ne sont plus des acteurs mais qui sont devenus au fond de simples individus vidés de toute leur capacité de jugement, pourrait avoir quelque influence sur ce qu’il faut bien appeler, 50 ans d’une Europe absolument désastreuse ; on ne peut pas remettre des rustines ou des bouts de ficelle. Bourdieu reconnaît que le mouvement dont il souhaite définir l’organisation est très anti-centraliste, très vigilant en ce qui concerne toutes les formes de concentration du pouvoir, toutes les formes de délégation. Alors, à ce propos, vous avez évoqué tout à l’heure la tradition libertaire. Bourdieu nous cite un livre qui s’appelle “Choses dites” et il précise :  « Il y a un chapitre qui s’appelle “La délégation” où je décris - ce qui n’a jamais été fait sérieusement, ça je dis bien, ni par Proudhon ni par tous les gens que vous pouvez invoquez..., le mécanisme de délégation et je fais un modèle tout à fait général - et ça ce serait très bien pour ni Dieu ni maître - le modèle du prêtre. Je dis que le modèle de base de la délégation, c’est toujours le prêtre, qui pense pour vous et qui dit - c’est la formule de Robespierre, la plus monstrueuse de l’histoire : “Je suis le peuple”. Le délégué est celui qui usurpe… » et j’analyse ce mécanisme.
Alors, qu’un cardinal aille plus loin que le père de l’Anarchie dans sa critique de la délégation de pouvoir nous laissa pantois. La délégation une monstruosité, le représentant du peuple un usurpateur, la votation du fétichisme, nous ne pouvions qu’applaudir des deux mains.

La Science.

Dans la construction de l’organisation de ce futur mouvement social européen, Bourdieu veut donner leur place aux « chercheurs ». Et il souligne les difficultés rencontrées par les sociologues dans leurs recherches. Frein des pouvoirs publics, refus de financement, contreparties exigés du chercheur s’il veut obtenir ce qui lui est nécessaire pour sa tache. Ainsi certains sociologues son critiqués lorsqu’ils ont accepté, contre leurs propres conceptions, certaines de ces « contreparties. Bourdieu s’élève contre cet ostracisme. Ce phénomène n’est pas propre aux chercheurs, aux sociologues. Il touche même des mouvements qui se disent progressistes voire anarchistes. Et il illustre par son propos cette dérive , cette forme de délation : « …il y a une faiblesse, c’est la mise à l’index. On dit - c’est un peu la première question - “Ah! Bourdieu, il a signé, etc.”. Ça c’est con. Ce n’est pas seulement salaud, c’est con parce que ça affaiblit, ça n’a pas de sens. Il faut faire très attention à la dénonciation rapide, superficielle. Il y a eu des époques où on guillotinait. Mais il convient de ne pas sacraliser la science. Elle peut être sans morale. t Bourdieu est d’accord : ... « Il ne s’agit pas de prendre les chercheurs tels quels, d’y voir comme au XIXème siècle, au nom de l’illusion de l’éducation - le mouvement social sanctifiait Pasteur ; Pasteur était devenu une sorte de Dieu... Il faut se méfier des savants, se méfier de la science mais on le fait mieux si on a des savants avec soi… »  Ceci dit il existe un autre écueil, celui de l’ostracisme à l’égard de l’ « intellectuel » souvent teinté de populisme , d’ouvriérisme, de repli sur sa caste, sa classe sociale. Bourdieu se bat contre ce phénomène et n’hésite pas à pratiquer ce « sport de combat » qu’est la sociologie. Il nous dit entre autres : « … Max Weber... il a une expression qui est un peu “vache”, il parle d’intellectuels prolétaroïdes. Ça je pense c’est une catégorie très très dangereuse. Dans l’histoire de l’humanité... Lénine était un intellectuel prolétaroïde... Ce sont des gens très dangereux, qui ont des comptes à régler avec le monde intellectuel... Saint-Just que j’évoquais tout à l’heure... Ils ont des comptes à régler dans leur univers... Ça englobe des artistes, des écrivains ratés... »

Pour finir.

Revenant sur le sujet principal de cet entretien, Bourdieu reconnaît qu’il reste beaucoup à faire pour élaborer ce projet de « Mouvement social européen ». Il conclut :
Oui. La partie critique de mon projet est plus développée que la partie constructive. Une autre raison est que - c’est à la fois une conviction profonde politique  et en même temps un constat scientifique - on ne peut plus bâtir des mouvements sociaux sur les modèles anciens. Ces mouvements anciens ne peuvent servir qu’au maintien de l’ordre. Donc il faut inventer tout à fait autre chose mais pas simplement des idées. Les gens croient qu’il faut inventer des idées... Il faut inventer des modes d’organisations dans lesquelles s’inventent les idées. Ça c’est peut-être l’idée la plus importante de ce bouquin, que je rabâche tout le temps. Je dis : “Il n’y a plus de Maîtres à penser, je ne suis pas Maître à penser. Je me sers de ma connaissance du monde social pour dire : “La première invention est organisationnelle”.
Et on ne dira pas aussitôt Internet !... »

Oui mais alors-là, objectons nous, attention à ne pas créer un nouveau parti, une nouvelle bureaucratie...

Pierre Bourdieu :
Non pas du tout. Ce qui me paraît utile, c’est de tenter de rassembler et d’organiser des forces qui se cherchent, inventer des modes d’organisation qui facilitent de nouvelles idées.

L’équipe de « Chronique Hebdo »  janvier 2012

(a) voir l’article de Pierre Rimbert « A cent contre un » dans Le Monde Diplomatique de janvier 2012
(1) paru dans le numéro 1240 du monde libertaire(12 18 avril 2001)
(2) malheureusement notre cardinal tira sa révérence quelques mois plus tard




Zone de texte:  ANNEXES

1.     Après la bataille

Après cet entretien nous bûmes au café du coin au nom prédestiné “A la bonne franquette...” un « rouge – cassis » autrement dénommé un « cardinal » ou encore un « communard ». Nous transmîmes par la suite le « verbatim » de notre conversation, lui demandant son approbation et ses corrections éventuelles. (1) Nous ajoutâmes ce commentaire :
“Bonne voie, bon début pour obtenir votre brevet d’Humanisme, avons-nous solennellement déclaré à une table de bistrot à notre Cardinal, impatient de connaître, les effets de son show libertaire...”
“Mais, avons-nous ajouté, devant son air de contentement un peu accentué, il restera quelques épreuves pour les semaines à venir. Vous nous apporterez votre texte (“Choses Dites”) sur la “délégation de pouvoir” dont, dites-vous, le modèle de base est “le prêtre”.
On évoquera aussi vos conceptions sur l’Individu, sur l’Etat. C’est bien le moins pour un brevet d’Humanisme.
... Au prochain exercice sur Radio Libertaire...(2)
En réponse à nos insolences, il nous a remercié avec simplicité pour le plaisir éprouvé (et  bien sur partagé) au cours de notre rencontre.     Archibald Zurvan 7 janvier 2012

(a) voir l’article de Pierre Rimbert « A cent contre un » dans Le Monde Diplomatique de janvier 2012
(1) paru dans le numéro 1240 du monde libertaire(12 18 avril 2001)
(2) malheureusement notre cardinal tira sa révérence quelques mois plus tard


2.  Après sa disparition

Alors, Pierrot ! Tu t’es fait la malle... Scandale ! Notre collégien a joué les filles de l’air. Il a abandonné, sans tambours ni trompettes, son séminaire sur l’Anarchie. Il l’avait entrepris en mars 2001, sur Radio libertaire. Et pourtant, nous avions formé de grands espoirs sur ce collégien doué.(1)
A mille lieux des petits marquis, tels les patrons des revues Esprit ou les Temps modernes, maîtres, ès « bassesse et perfidie » (2), Pierre Bourdieu que nous rencontrions pour la première et la seule fois, était un « honnête homme ».
En retraçant, après lui en avoir soumis le brouillon, les principaux points de notre dialogue radiophonique, nous écrivions :  Mis à l’index par le « Sacré Collège » des « dominants » de la communication (celle du vide de la pensée),  un peu comme un sous-préfet qui s’en va-t-aux champs, boire un bol d’air frais, Bourdieu est venu par plaisir rompre des lances avec les anars...
« Nous aimons bien les moutons noirs, ceux qui “ ouvrent leur gueule ” (3) surtout quand la contradiction, la controverse est fructueuse. « Enfin nous avions l’outrecuidance de nous estimer aptes à délivrer ou non
à notre impétrant de pèlerin son brevet d’humanisme. Nous étions curieux de savoir si, cinq cents ans après la création du Collège de France à l’initiative de Guillaume Budé, humaniste généreux, helléniste et savant, ami d’Erasme et de Rabelais, le même esprit pouvait encore souffler sur quelques-uns de ces collégiens du troisième millénaire... »
Ce premier exercice avait été positif. Ces « partielles » avaient porté sur le dernier ouvrage des éditions Raison d’agir, et intitulé Contrefeux n° 2, pour un mouvement social européen. Il s’en était si honorablement tiré, que nous avions de sérieux espoirs pour la suite. Nous l’avions encouragé. « Bon début pour obtenir votre brevet d’humanisme, avons-nous solennellement
déclaré à “ La Bonne Franquette ”, à notre cardinal (4), impatient de connaître, devant un communard (rouge-cassis), les effets de son show libertaire. »
« Mais, avons nous ajouté, devant son air de contentement un peu accentué, il restera quelques épreuves pour les semaines à venir... Au prochain..
exercice sur RL. » Nous avions déjà proposé le second volet de l’exercice qui aurait notamment été consacré à ses conceptions de l’Etat, de la relation « individu-société », et à son ouvrage Méditations pascaliennes.
Pierrot, tu n’est pas sérieux. On n’abandonne pas ainsi au milieu du gué. Toi qui savais fort bien démystifier, désacraliser, démonter les idées reçues ! Toi qui combattait avec fougue la pensée (?) binaire, le tout ou rien, la logique totalitaire du tout ou rien, du « 0 » ou « 1 » mais pas les deux mélangés ! Toi qui, devant un auditoire de « dominés », savais, sans rhétorique absconse, faire front et trouver les mots pour combattre l’anti-intellectualisme primaire et obliger à réfléchir. (5)
Tu vas nous dire que la Camarde est sans morale, sans justice, sans respect, pour les hommes et leur vertu. D’accord. Nous avons à continuer sans toi, à nous battre contre ceux qui vont tenter de t’enterrer, toi et ta pensée, une deuxième fois sous les fleurs. Salut Pierrot !
Archibald Zurvan  Javier 2002

(1). Le Monde Libertaire, n° 1240 du 5 avril 2001.
(2). Le Monde du 31 janvier 2002 : Article de Jacques Bouveresse, « Pierre
Bourdieu, celui qui dérangeait ».
(3). Le Monde du 3 décembre 1999, « La tradition d’ouvrir sa gueule ».
(4). Le Monde du 18 septembre 1998, article dans lequel Bourdieu est traité
de « cardinal Ratzinger de la Science ».
(5). La Sociologie est un sport de combat, Film de Pierre Carles.







  

mercredi 25 janvier 2012

UN DOUX ANARCHISTE

UN DOUX ANARCHISTE
C’est ainsi qu’Ursula, la compagne de Boris Vian l’appelait. Elle précisait : « Il voulait combattre avec les armes de l’intellect, non la kalachnikov, je l’appelais le doux anarchiste. (…) Je pense comme Boris que l’important c’est le non conformisme. On peut inventer une autre vie par une lutte de tous les jours ». « Doux » ne veut pas dire inactif ; Savoir ce qu’on fait avant de le faire. L’idée doit précéder l’action et y retourner, disait Proudhon, critiquant les révolutionnaires de 1848, qui s’étaient lancés dans la bataille sans « Idée ». On peut dire que Boris en a eu des idées, mais à lui. Il n’était pas de ceux qui ne peuvent supporter qu’on leur dicte une forme de pensée, aussi libre soit-elle ».

C’est un  historien grec, Thucydide qui disait : « Il faut choisir, se reposer ou être libre ». BORIS a choisi. Pendant les quelques 20 années de sa vie entre 1940 (il a 20 ans) et sa mort en 1959, il se jeta à corps perdu dans le courant exalté d’une vie qu’il savait être courte. Ce faisant il est l’image même de l’homme libre. L’éclat fulgurant de cette liberté et de cet appétit de vivre nous illumine encore aujourd’hui.

CRÉER ou OBÉIR.   Mais l’éclat fulgurant de cette liberté d’agir ne pouvait se manifester dans le travail servile. Se débarrasser d’une  corvée, ce n’est pas agir au sens d’une volonté personnelle qui s’exprime. Il écrit : » « Le Paradoxe du travail, c’est que l’on travaille, en fin de compte, que pour le supprimer ». C’est dans un texte resté inachevé qu’il traite de ce « paradoxe » ; Il donna à son écrit le titre pompeux de « Traité de Civisme » et, à son habitude, se moquant de cette appellation professorale et étatique, il compléta par des titres mieux accordés à sa « liberté » : "Traité d'économie orbitale" ; "Traité d'économique heureuse" ; "Traité de morale mathématique". C’est dans le chapitre « Paradoxe du Travail » de ce traité qu’on trouve cette phrase condamnant la relation maitre - esclave : « Le travail de l’ouvrier n’est pas la réalité du créateur, il est un acte transitoire. Quant à moi je ne pourrai pas respirer ni dormir tranquille tant que je saurai qu’il y a aux papeteries de la Seine des décrasseurs de chaudières arabes dont la vie ne vaut pas celle d’un bœuf ». Cette relation de domination et de vol que constitue le contrat salarial enserrant et dégradant les facultés créatrices de l’individu conduit Boris à s’écrier : « Le travail est probablement ce qu'il y a sur cette terre de plus bas et de plus ignoble. Il n'est pas possible de regarder un travailleur sans maudire ce qui a fait que cet homme travaille, alors qu'il pourrait nager, dormir dans l'herbe ou simplement lire ou faire l'amour avec sa femme. »
Et il explicite cette vision d’un monde si éloigné de la justice et dont la transformation pourrait permettre l’épanouissement personnel de l’individu devenu libre créateur. En effet ce ne sont pas seulement les formes insupportables de l’oppression patronale qui sont en cause, mais aussi la totalité des modes de vie et des relations dans la Société. « Le but est d'amener dans le temps le plus bref le niveau de vie de l'ensemble des groupes humains au minimum vital idéal. Etant entendu qu'en aucun cas, en aucun lieu, on ne doive régresser au point de vue des heures de travail. Le but ultime étant naturellement la suppression totale ou tout au moins presque totale du caractère obligatoire du travail au profit des activités créatrices de l'esprit ou du corps, et, en fin de compte, de la liberté individuelle. Ce qui est parfaitement possible… »

MOI, BORIS ?  Eh bien, moi j’ai eu de la chance. Né dans une famille riche jusqu’à la banqueroute financière de la « Crise de 1929 » (A l’époque les boursicoteurs, les financiers ruinés se jetaient du haut des gratte-ciel de New York, aujourd’hui ils jettent les peuples dans la misère), j’ai pu faire des études dites supérieures. Je suis entré à « Centrale » comme simple « bizuth ». J’en ai même torché un poème. Tiens ! le voilà :
BIZUTH (1)
Et ce fut le concours pour une grande école
La ruée contenue de mille bons crétins
Vers deux cents places ; se lever dans les matins
Lourds d’orages latents, et le cœur qui s’affole…

La verrière immense, houleuse casserole
Où cuisent des cerveaux nageant dans leurs destins,
Les froncements de fronts, les appels clandestins,
Les départs en clamant une suite de Rolle (2)…

Enfin le mois d’attente inquiète et de leurre
Qui durera dix ans mais n’a duré qu’une heure,
L’oral étant espéré, piteux, solennel,

L’incompréhension des copains sans entrailles,
Le bon cœur de bourreaux barbus à l’œil cruel,
Et le jour du triomphe où croulent les murailles. (3)

 A 22 ans, ingénieur sorti de « Centrale », branché « mathématique et Mécanique », il m’a fallu bosser. Mon papa écrivit une lettre polie sollicitant pour moi un emploi auprès de l’AFNOR (Association Française de Normalisation). Et me voilà préparateur de normes pour la verrerie (les goulots de bouteilles doivent avoir la même dimension). Mais les temps n’étaient pas à la « compétitivité suicidaire ». Entre deux morceaux de trompette au bureau, j’élaborais consciencieusement un superbe projet de « Norme des Injures ». Il s’agissait, pour moi, aux antipodes de la « Normalité » de montrer jusqu’à quel degré de stupidité peut aller l’autorité réglementaire. L’article 1 du projet précise : « Objet de la Norme : La présente norme a pour objet de définir diverses gammes d’injures pouvant être expectorées facilement par un Français moyen en colère et utilisable dans la plupart des circonstances usuelles de l’existence ». La suite comporte un tableau détaillé des catégories d’Injuriés (4 catégories selon le sexe, male, femelle, ecclésiastique, 3ème sexe) ainsi que des précisions telles que : « Si l’injurié est bègue il est recommandé de redoubler légèrement la première syllabe de chaque injure »
J’entreprenais en même temps la rédaction de mon roman « Vercoquin et le Plancton » dont les personnages, pour certains, étaient mes supérieurs hiérarchiques. On était en pleine occupation « pétaino germanique ». Et puis quatre ans plus tard, ce fut la déferlante libératoire anglo américaine et ses cigarettes, son whisky, ses petites pépées et surtout le jazz « Nouvelle Orléans ». Puisque le bel Hexagone était libéré, qu’attendais-je pour me libérer du turbin afnorien ? Je jetais mes chaînes par-dessus bord. Fini le train-train quotidien, le bureau poussiéreux et les manches de lustrine : « Les gens sans imagination ont besoin que les autres mènent une vie régulière ». Ils allaient voir ! 

UNE VIE « Irrégulière ».
Si par « irrégulière » on entend l’extrême variété  et l’originalité féconde des activités de Boris Vian, le qualificatif est approprié. Dans les caves du quartier latin, sa frénésie ne se relâche pas. Il fonce… « sans tambour (mais avec) trompette ». A peine sorti, au petit matin, du « Lorientais », le club de jazz de Claude Luter, au pied de la Montagne Ste Geneviève, qu’il prend sa plume « libre » pour se lancer dans le roman noir à l’américaine. Bien que signé du nom très english de « Vernon Sullivan », ce « J’irai cracher sur vos tombes », fait s’étrangler de rage la « bonne » société confite en gaullisme galonné. La censure « républicaine » sévit. Comment pouvait-elle supporter cette atteinte perfide à l’honneur de nos « sauveurs » anglo-saxons. Ecrit dans le style américain du roman noir et paru, par défi, aux Editions du « Scorpion », il dénonce les mœurs de la société et de la jeunesse américaine, sur un fond épouvantable de racisme. Le sexe dans le livre, plus que la violence, lui est farouchement reproché. Lorsque Boris finit par revendiquer en être l’auteur, il signe sa condamnation sans le savoir. Il est définitivement écarté de la Littérature. La censure va jusqu’à l’interdire et tout cela, paradoxalement, contribuera à l’énorme succès du livre.

DES GÈNES de la MUSIQUE ET de l’ÉCRIT
On peut parler, en effet, de ses dons naturels, de sa fibre musicale et de la légèreté de sa plume.Il avait un père poète et une maman concertiste pianiste. La musique était dans ses gènes, la poésie itou. Il choisit la trompette et lorsqu’il fut à bout de souffle, la guitare harpe. C’était, pour Boris et ses nombreux amis des années 50, l’irrésistible et fanfaronne passion pour le jazz, avec ses clans fanatiques du « traditionnel » ou du « moderne » : le « Hot Club de France » et le classique « new orleans » de « Panassié » contre le «be bop » de « Delaunay  ». Il réussit plus tard à convaincre Miles Davis de composer la musique du film de Louis Malle « Ascenseur pour l’échafaud ».

Ses « dispositions naturelles », son génie le conduisirent sur tous les chemins de la créativité individuelle, de l’Art et de « sa destination sociale », comme aurait dit Proudhon. En effet, toutes ses créations contiennent, drôles ou tristes, une étonnante analyse critique de la Société. Ses chansons en sont l’exemple parfait. Composée en 1956, La complainte du Progrès est une critique très drôle de la société de consommation et ses dérives. En guise de déclaration d’amour « Gudule » reçoit de son soupirant une batterie d’appareils ménagers. C’est le démarrage de la Société de consommation à la modernité vulgaire et déshumanisée. Et, si une brouille survient, la pauvre Gudule se verra privée de son « atomixeur, de son pistolet à gaufres, de sa tourniquette pour faire la vinaigrette ». Le « Déserteur », lui, est composé en 1954, l’année du Waterloo de l’armée française en Indochine, à Dien Bien Phu, et aux prémisses de la guerre d’Algérie. Il est une émouvante et impitoyable démolition de la Guerre, de l’Armée qui est la triste dégradation d’une Société qui tolère le meurtre systématique.
Cette chanson fut interdite par la censure d’État. Boris commentait ironiquement : « On reproche à ma chanson d'être anti-militariste. Je n'en sais rien et d'ailleurs je ne le crois pas. Je ne sais qu'une chose, c'est qu'elle est violemment « procivile».
 Dans la même veine anti militaro étatiste pleine d’humour, il fait disparaître tous les Chefs d’État dans la cabane de son oncle qui vient de mettre au point et de faire de façon faussement maladroite exploser une bombe atomique. C’est la « Java des Bombes atomiques ». La même année (1954) prenait la mer le premier sous-marin atomique, et démarrait en URSS la première centrale nucléaire. En 1955, il écrit « Le Petit Commerce », satire féroce et ironique des marchands d’armes. Leur commerce a si bien marché qu’ils ont détruit la planète. Et son éventuelle reconstruction sera un nouveau vol, une nouvelle exploitation du travail salarié. Boris écrit : « La guerre est la forme la plus raffinée et la plus dégradante du travail puisque l'on y travaille à rendre nécessaires de nouveaux travaux. » Dans son « Traité de Civisme », cité plus haut, Boris est très explicite sur la nécessité de se débarrasser de la gent militaire et de ses acolytes. « L'histoire, qui n'est pas cette collection stupide de faits militaires masquant depuis des siècles la signification réelle de l'évolution de l'intelligence, est là pour le dire ; l'histoire qui évolue dans le sens de la vie, tandis que le militaire n'est qu'une des formes de la mort, forme pathologique dont on se débarrassera moins facilement que du cancer mais dont on peut se débarrasser… »


UN JOUR SANS FIN

La liste de ses activités comme celle de ses amis est longue comme un jour sans pain. Il tint même une chronique dans la très sérieuse et « existentialiste » revue de Sartre et Merleau- Ponty intitulée « Les Temps Modernes ». Il la baptisa « Chronique du Menteur ». Ses textes tranchent par leur sujet et leur ton avec le reste de la revue. Y dominent les mensonges, bien sûr, les contre-vérités, les raisonnements absurdes et les informations loufoques, telle cette annonce : « Rappelons qu’Édith Piaf, autrefois la Môme Piaf, vient de se faire anoblir par le pape, moyennant l’enregistrement de « Minuit – Chrétien » avec Alix Combelle au ténor, et se nomme maintenant baronne Piaffe » ou bien encore ce raisonnement sur ce qu’il pourrait arriver s’il tuait Marcel Cachin (dirigeant du parti communiste de l’époque): « Je me ferais traiter de salaud de fasciste. [...] Pourtant, ça n’est pas vrai, je ne suis pas un fasciste, je suis juste un peu réactionnaire, inscrit au PC et à la CGT, je lis Le Peuple et le fais lire à mes amis. » Vian n’hésite pas à s’en prendre à la revue elle-même et à ses collaborateurs : « Pour leur montrer ma bonne foi, je tuerai Merleau-Ponty aussi (c’est lui le gérant, mais personne ne s’en doute). C’est un capitaliste et il prend trop de pages dans cette revue, je n’aime pas les égoïstes. En fait, si l’on veut écrire n’importe quoi dans Les Temps modernes, on ne peut pas. Il faut du sérieux, du qui porte. De l’article de fond, du resucée, du concentré, du revendicatif, du dénonciateur d’abus, de l’anti-tyrannique, du libre, du dégagé de tout. [...] Citoyens ! Assez de baratin ! ». Cela ne pouvait durer. Boris arrêta de mentir et s’enfuit de la célèbre revue de « l’agité du bocal ».

Dans cette course ininterrompue, ces « vies parallèles » comme l’écrit un de ses biographes (4), parallèles mais avec un même fil conducteur, Boris ne pouvait manquer de se servir du théâtre. Deux pièces illustrent particulièrement sa vision du Monde : « Les Bâtisseurs d’Empire » et « Le Goûter des Généraux ». Deux brillantes démonstrations de critique sociale. Les commentateurs ne se sont pas trompés : on y trouve, au travers d’une langue cocasse et cruelle, la représentation de l’oppression. Dans la France de 1957, en pleine guerre d’Algérie, on ne peut s’empêcher de voir dans un des personnages des « Bâtisseurs d’Empire » un travailleur immigré. Elle est, selon d’autres spectateurs, un reflet symbolique de la fracture sociale ; elle montre comment la société pousse les individus qui en sont exclus au plus bas de l’échelle économique et sociale.

Dans « Le Goûter des généraux », c’est encore une fois la guerre qui se montre dans toute sa splendeur maléfique. Pendant que le Général « De la Pétardière » organise chez sa maman des goûters avec ses petits camarades, les politiciens au pouvoir, le président du Conseil et sa clique décident, pour masquer leurs échecs et leur médiocrité, de déclarer une guerre contre un adversaire à trouver pourvu qu’il soit le plus faible. Il s’agit, pour ces soudards de la démagogie et de la cruauté, de remédier à une crise économique, bref, une guerre pour retrouver l’équilibre économique. On se croirait en 2011, hélas, mais pas au théâtre !
Cette apostrophe aux médiocres de la politique n’épargnait pas pour autant les laquais du journalisme ou les professeurs de « Foi ». Boris écrivait : « La presse française fait preuve d'une partialité révoltante et ne traite jamais que les mêmes sujets : les hommes politiques et les autres criminels. » Et encore : « La foi soulève des montagnes mais les laisse joyeusement retomber sur la tête de ceux qui ne l'ont pas. »

ANARCHISTE ou PATAPHYSICIEN

Si Alfred Jarry avait vécu du temps de Boris, il l’aurait, sans hésiter, choisi parmi les membres du Collège de pataphysique, cette honorable confrérie de la « Gidouille Verte ».
Vian prétendait « être venu à la pataphysique vers l’âge de huit neuf ans ». Il avait lu une pièce de théâtre dont une réplique pouvait permettre d’ « initier tout le monde à la pataphysique » et qui était : «  Je m’applique volontiers à penser aux choses auxquelles je pense que les autres ne penseront pas" ». En 1959, l’année de sa mort, Boris Vian disait : « les pataphysiciens mettent sur le même plan le réel et l’imaginaire… un des principes fondamentaux de la pate physique est l’Équivalence… »  Cette équivalence, n’est-elle pas cet équilibre, cette égalité, cette balance dont parle Proudhon pour définir de « justes » relations entre les hommes ? Si le réel est le support de notre analyse critique, l’imaginaire est à la fois le déferlement dans l’inconnu ou dans le rêve, mais également la concentration de la pensée vers un « idéal », un nouveau réel plus juste.
AZ et Inana Décembre 2011

 (1) un bisuth, est un étudiant débutant.
(2) Rolle : mathématicien créateur du théorème baptisé « Suite de Rolle ».
(3) Extrait du recueil de Cent Sonnets.
(4) Noël Arnaud, Livre de poche, Les vies parallèles de Boris Vian.
Une Exposition Boris Vian s’est tenue jusqu’au 15 janvier 2012 à la BNF, Galerie François 1er.