jeudi 4 octobre 2012

JEANNENEY ÉDITE "NI DIEU NI MAîTRE"

A propos de la brochure n°4 LES ANARCHISTES, Ni Dieu ni Maître.

Ce courrier répond à l'article de J N Jeanneney, paru le 15 septembre dans le Monde, et présentant ces anthologies sur l'insoumission et la rébellion.  C'est une critique de cette présentation.  


BON CHIEN CHASSE DE RACE …

Sous le titre peu conformiste « Éloge de l’Insoumission », le journal « Le Monde » présentait le 15 septembre 2012 une  collection, dirigée par Jean Noel Jeanneney, de « dix anthologies originales », intitulée « Les Rebelles ». Le choix d’un ancien secrétaire d’État au commerce sous François Mitterrand, fils d’un ministre d’État du général de Gaulle, s’imposait. Jean Noel Jeanneney avait, en outre, comme grand père, Jules Jeanneney, également ministre d’État officiant pour le même De Gaulle après avoir, en 1940, présidé la séance de l’Assemblée Nationale donnant les pleins pouvoirs à Pétain.

Les « Insoumis », les « Rebelles » allaient être servis. L’État, par le biais d’une honorable dynastie de ministres allait s’occuper d’eux. L’agrégé d’histoire, Jeanneney, allait protéger la patrie, des rebelles. Se révolter, d’accord, mais pas contre l’État, sauf s’il est soumis lui même à un État étranger. Les « éloges » à l’adresse des insoumis allaient être distribués avec parcimonie. Ces résistants des années 40, étaient-ils conscients d’obéir au grand maître auto proclamé du combat contre l’occupant allemand, ce général réfugié à Londres et qui devait devenir « l’homme du coup d’État permanent », le bâtisseur d’une « démocrature », la 5ème république ? Non. Ils étaient, selon leur aventure personnelle dans les FFI, les FTP, l’Armée secrète ou simplement réfractaires au service du travail obligatoire en Allemagne. Pour eux, un général, quelque soit son camp n’est jamais un « insoumis ». Seuls, certains historiens, et surtout les hommes d’État ont besoin d’un Panthéon pour rebelles.

Après les anthologies d’Aubrac,  de Jean Moulin, Jeanneney poursuit : « En attendant de Gaulle ». Il veut  nous mettre l’eau à la bouche. Vous allez voir ce rebelle !
Lorsqu’il parle des révolutionnaires de 1848, ce n’est pas pour évoquer les raisons de leur révolte, mais pour « rendre une pleine fraicheur à leurs enthousiasmes piétinés ». La « pleine fraicheur » des massacres de milliers de parisiens, par le général Cavaignac sous les ordres d’un État assassin. Quant aux anarchistes, ils ne peuvent qu’avoir du sang plein les mains. Ils ont osé prétendre que l’État est, pratiquement toujours, « étranger au droit, indifférent à toute idée morale, un simple instrument de force », selon la formule de Proudhon. Pour ajouter à son ignorance, Jeanneney parle d’un « absolu intellectuel d’un rejet de l’État» qui serait le fondement de l’idéal et du combat anarchistes et qui ne pourrait conduire qu’à « des conséquences sanglantes ». S’il est une philosophie, une morale qui exclut toute référence à un dogme, une transcendance, une idée fixe, c’est bien l’Anarchie. L’État n’est pas sacralisé ; il n’est pas une abstraction. Il est concrètement le fait de gouvernants s’appuyant sur la richesse, la religion et la force pour maintenir le « désordre  établi ». Bourdieu, dans ses conférences au Collège de France sur l’État, soulignait que la longue histoire de l’État centralisateur permettait d’observer la progressive sophistication  de la « Violence physique » (Police, Justice, Armée, Contrôles, Espionnage, Expulsions  etc) mais surtout de constater l’explosion de la « Violence symbolique » qui s’exprime par le formatage des individus acceptant, voire faisant leurs, des règles injustes ou inutiles et devenues ainsi des « idées fixes » indiscutées et universelles parce qu’imposées  par l’État.

 Quant à la chaine conséquente des « serviteurs » de l’État, elle ne fait que s’accroître. En même temps des « économies » sont  annoncées à grand bruit par la suppression de postes garantissant la sécurité et la quasi permanence de l’emploi, liées au statut des fonctionnaires. La précarisation de l’emploi, le nouveau statut « privé » et « flexible » des détenteurs de l’autorité dite « publique » contribue à la dégradation du service aux usagers. Plus insidieusement, elle fait pénétrer progressivement, dans des domaines de la vie intime, privée et sociale sans rapport avec son rôle ancien,  un interventionnisme d’État étouffant toute initiative individuelle libre. Au sommet de ce modèle de domestication étatique, hommes d’État et financiers sont interchangeables. Le « Think Tank », ce char d’assaut de la pensée unique, baptisé « En Temps Nouveaux », est composé de banquiers et d’hommes d’affaires pour les trois quarts. Il n’est pas étonnant que Jeanneney en tant qu’ancien homme d’État, en fasse partie. La soumission des plus défavorisés aux bienfaits du libéralisme est la préoccupation principale et le thème favori des colloques de ces valets du Capital.  

Pour ne pas limiter ses éloges de l’insoumission à des figures connues de la Résistance de 1940 /45, l’honorable historien a déniché Voltaire et son « Affaire Calas », Mauriac l’insoumis familial et son « Famille, je vous hais ! », et enfin Victor Hugo. Ce n’est pas sans une audace rebelle que ce Pair de France, réfugié à Guernesey, osait disserter sur « Napoléon le Petit ». Le même Victor montrait son vrai visage quand il écrivait, dans le journal « Le Rappel » en avril 1871 après les massacres d’État d’Adolphe Thiers sur les Parisiens, lors de la résistance aux Prussiens et de la mise en pratique de l’autogestion anarchiste par la Commune de 1871 : « je suis pour la Commune en principe et contre la Commune dans l’application ».

Qu’une baderne d’État, comme cet ancien secrétaire au commerce se lance dans l’éloge de l’insoumission ce ne peut être qu’un faire semblant, un faire valoir. Restons en aux principes. Fi de leur application ! La « vraie » rébellion doit savoir éviter de s’en prendre à l’État et s’en tenir à des projets de « réforme modérée dans les limites de la loi ».

Camus disait, a propos de ces politiciens de métier et de tradition : " ce sont des hommes sans idéal et sans grandeur". Il notait dans ses Carnets : "Chaque fois que j'entends un discours politique, je suis effrayé de n'entendre rien qui rende un son humain ; ce sont toujours les mêmes mots qui disent les mêmes mensonges".

Et pendant ce temps les assassins d’État poursuivent leurs forfaits. Leurs crimes sont enrobés de discours fatalistes, lénifiant ou agressifs. Hugo qui n’a pas énoncé que des sottises, écrivait dans son roman 93 : « Tant qu’il  y aura des grimauds qui griffonnent, il y aura des gredins qui assassinent ». Griffonner une dizaine d’ « anthologies originales » sur « Les Rebelles » relève du formatage journalistique autant qu’étatique des cerveaux. Sous prétexte de magnifier un vieil épisode de la résistance contre un État étranger envahisseur (avec en prime quelques littérateurs), on masque les réalités d’aujourd’hui qui justifieraient la révolte et l’insoumission à des comportements publics contraires à toute moral et au respect de la dignité de chacun. Un « homme d’État », un certain  L Jospin, pour justifier son aveuglement sur les véritables causes de la misère et du non respect des lois les plus violentes, s’abritait derrière une façade de gredin : il se repentait, pour expliquer son inertie, parlant « d’excuse sociologique ».(1)

Aujourd’hui, pourquoi l’Insoumission est elle nécessaire, voilà le vrai sujet ! AZ 01 10 12

(1) Le Monde du 26 septembre 2012. Débats : Didier Fassin, « Priorité  à l’ordre et obsession sécuritaire… »


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