mardi 4 septembre 2007

Onfray sur radio libertaire

La critique de « La Politique du Rebelle, après l'interview de M. Onfray sur Radio Libertaire.en février 1998

A propos de la parution de « La Politique du Rebelle »
Michel Onfray -Grasset 1997-

"Honneur ! Patrie ! Droit !...
et derrière ces miroirs aux alouettes
Qu'est ce qu'il y a ? "
Les Thibaud - Roger Martin du Gard


Et derrière les mots "Rebelle, Résistance, Insoumission " du livre d'Onfray (Grasset Éditeur, Paris 1997 ), qu'est ce qu'il y a ?

La revue belge « Alternative Libertaire », qui semble s'être pourtant posé la question, n'a pas hésité, par masochisme, à coup sûr, à faire sa "Une" sur le portrait de l'auteur accompagné d'un dithyrambe "Le livre le plus percutant de l'année..."

Percutant certes, comme un coup de bâton, un habile mouvement déstabilisateur d'art martial.

On se demande si le responsable de la revue a choisi son titre admiratif sans avoir lu le remarquable papier de Michelle Beaujan sur le sujet, texte qu'il a modestement relégué à la page 7.
Il n'est pas nécessaire de se référer à la pensée et à la morale anarchiste, comme prétend le faire Onfray, pour décrire et analyser brillamment la condition salariale et l'organisation inégalitaire à vocation concentrationnaire de la Société où nous vivons.

Cet exercice, Onfray le fait avec brio, nous sensibilisant dans ses premières pages (celles reproduites par A.L), quand il décrit sa plongée dans l'univers de l'usine.

Mais comme le remarque, exemples à l'appui, Michelle Beaujan, pour lire et comprendre le jargon qui suit, il faut s'accrocher. Seul l'auteur peut prendre son pied et éprouver une "jubilation hédonique" mitigée de sadisme à nous imposer " la souffrance pour le savoir".
Pour le reste, si nous voulons y voir une pensée conséquente dans sa "résistance", une philosophie ayant quelque rapport avec l'Anarchie, il convient d'y regarder d'un peu plus près.

Une pensée caduque (1)


Pour l'auteur de cet essai sur l'insoumission la pensée anarchiste serait caduque, cette pensée qui "...fait de l'État son objectif prioritaire et unique..."

Il écrit : « …Le problème est moins le pouvoir d'Etat que l'état du pouvoir…D'ou une caducité généralisée de la pensée anarchiste qui fait de l'Etat son objectif prioritaire et unique (sic)…Une pensée anarchiste contemporaine doit rompre avec cette fétichisation de l'Etat car il se réduit à n'être qu'une machine, sans aucun coefficient éthique (sic), juste un mécanisme obéissa,t aux ordres donnés et transmis…. »
Or la lutte contre l'État n'a jamais, même au temps du capitalisme balbutiant et donc solidement étayé par le pouvoir d'État, été le seul et unique objectif des penseurs et des acteurs du socialisme.
C'est le pouvoir d'État, défendant le privilège du capital qui est visé autant que les autre formes de l'autorité oppressive et inégalitaire (Églises, Féodalités industrielles et financières)

Si pour Onfray, l'État n'est "...qu'une machine sans aucun coefficient éthique...", juste un "...mécanisme obéissant aux ordres" ( de qui ? ), on pourrait lui rappeler que lorsque les ouvriers anglais et lyonnais, dans les années 1830/40, s'en prenaient aux "machines" ce n'était pas parce qu'elles disposaient ou non d'un coefficient éthique, ni parce qu'elles allégeaient peu ou prou leurs souffrances physiques, non plus par dégoût rétrograde pour une machine moderne mais parce qu'elles les privaient, entre les mains des patrons, de leurs moyens de survivre. Derrière la machine il y a le capital, même si c'est une machine d'État.

Onfray doit supposer que l'État est une abstraction, un songe creux, que dans la machine d'État il n'y a pas d'hommes de pouvoir avec leur volonté de maintenir leur morale bien à eux de l'ordre établi. Proudhon écrit "L'État est étranger au droit, indifférent à toute idée morale, c'est un simple instrument de force...". C'est cet instrument auquel s'oppose l'anarchiste pour la raison qu'il est le bras armé de l'injustice.

L'age d'or (2)


Pour Onfray la pensée anarchiste est une vieille lune. Elle serait fondée, ( comme s'il s'agissait de la théorie marxiste de la Révolution, comme si les anarchistes avaient comme idéal révolutionnaire la prise du pouvoir pour imposer un modèle social et économique tout prêt, grâce à l'action « éclairée » d'un Parti guide du Prolétariat), sur un "millénarisme doublé de sacrifice à l'utopie classique".
Autant d'affirmations en totale opposition avec les conceptions libertaires. Il est assez triste de rappeler que contrairement à ce que nous promettaient les marxistes et que nous annoncent les libéraux pur et durs du capitalisme moderne, il n'y a jamais eu pour les anarchistes de "Fin de l'Histoire", de paradis futur, de système social clos, définitivement bouclé par quelque prophète terrestre ou céleste.
De même la notion de sacrifice relève de la croyance en un absolu. Elle s'oppose à la pensée raisonnante, au jugement, à l'esprit critique, à l'autonomie de la personne. Seuls des religieux de tout acabit la portent au pinacle : Dieu, l'Etre suprême, la Patrie, les générations futures, l'Homme Nouveau, etc. Autant de fantômes contre lesquels les anarchistes se battent.
• Dans ces conditions et devant ce qu'on espère être une erreur de lecture ou une mauvaise interprétation de la pensée anarchiste, Onfray ne pouvait qu'accumuler les contresens. Quand il parle d'utopie classique (sic) on peut se demander à quoi il fait référence. Ni l'anarchie de Proudhon, ni le Socialisme "pratique" de Blanqui n'étaient "classiques", encore moins "utopiques". "Tout donner au présent", disait Blanqui. Le mutuellisme et le fédéralisme proudhonien sont ancrés dans le concret. Quant à l'idéal libertaire, comme le dit la chanson, il est le contraire d'un modèle social fermé, défini à l'avance. Il est un moteur de l'action contre l'injustice. Il est le fondement des valeurs anarchistes qui supportent cette action ; il est une dynamique permanente soutenant la volonté de l'individu et du groupe dans une société ni statique, ni figée, ni idéalisée, mais au contraire vivant de ses contradictions, de ses antinomies dans un équilibre reposant sur la justice économique et sociale.


• la bête de proie (3)

• Le libertaire serait une bête de proie.
• Il écrit : « … le portrait du libertaire, cette figure célibataire, (sic) appelle les qualités de la bête de proie : flairer, écoute, épier, être sans cesse sur ces gardes… »

• Le moins qu'on puisse dire est que l'image est malheureuse. C'est justement contre la jungle libérale, contre une forme de darwinisme social, contre la terreur planifiée de l'État marxiste que le libertaire affirme l'entraide, la solidarité, la justice , le règlement pacifique et contractuel et égalitaire des conflits, qu'il se bat pour équilibrer, contractualiser les forces en action dans une société. Il se bat contre l'absolutisme, la sacralisation, la concentration du pouvoir.

• le vrai libertaire (p. 219, 221, 222, 225, 237, 238)
• Dérisoire et sans rapport avec l'Anarchie que ce portrait du libertaire, image d'Épinal, tableau d "un Homme Nouveau", figure normalisée de l'anar selon Onfray.
• Protégez moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge... ces amis qui vous embrassent, vous étreignent avec science pour mieux vous étouffer, étouffer les valeurs de l'Anarchie, éteindre la volonté, en finir avec les symboles de la dynamique révolutionnaire.
• Le libertaire nouveau n'est plus un anarchiste "à l'ancienne". C'est un "condottiere" magnanime, un maître es Aïkido, un "dandy révolutionnaire", un esthète de la tête aux pieds.
Il écrit : « …Plieur d'énergie, le Condottiere de mes vœux excelle dans l'art du dressage des forces qui contribuent à la sagesse tragique….Bien sur il triomphe , en figure célibataire et nominaliste (sic), en artiste spécialiste des pointes et de la maitrise du temps efficace, en rebelle ennemi du contrat social auquel il préfère et oppose le contrat hédoniste…. »
« …dans son souci de prévenance, il organise le réel autour de lui…de sorte qu'il triomphe en hédoniste sur le terrain libertaire…Pour parfaire la description et la compléter par sa dimension politique, il me faut dire que le contrepoint de ce personnage conceptuel suppose le Libertaire, moins anarchiste sur le mode ancien que dépositaire de cette tradition de la rébellion dans une perspective résolument moderne… »

• Peut-être l'auteur a t-il voulu complaisamment faire son autoportrait ? Mais quel rapport peut-il exister entre lui et L'homme révolté de Camus, l'anarchiste de Pelloutier qui cherche à s'aguerrir et s'élever par "la culture de soi-même", L'Unique de Stirner affûtant sa force, consommant ses connaissances pour affirmer son sens critique et sa volonté, agissant à la mesure de ses capacités et attaché à combattre l' injustice sociale tout autant que respecter la dignité de chaque individu.

• Tout flatteur vit aux dépens... (4)

• C'est au travers des pages consacrées à l' "éloge" de Blanqui que l'on découvre ce qui pourrait apparaître comme la "morale" de l'auteur.
• Sous la forme d'une adresse faussement admirative, Onfray interpelle Blanqui : « ... Vous, Blanqui, qui avez eu "une existence sans flexions, sans compromissions, sans accrocs (sic) j'aime (moi Onfray le vrai révolté) cette inflexibilité... malgré mille occasions qui vous ont été données d'être un renégat... »
• Comment qualifier les valeurs auxquelles se réfère M. Onfray pour énoncer une telle proposition ? Pour lui, être un renégat n'est qu'une affaire d'opportunité.
• Et pour mieux souligner le peu de poids de la pensée et de l'action de Blanqui, il l'interpelle ainsi : "...On ne peut vous donner aucune profession fixe... en dehors de collaborations épisodiques à la presse d'opposition..." On croirait entendre le Président du Tribunal qui en janvier 1832 demandait à Blanqui inculpé du procès dit "des Quinze", quelle était sa profession, et auquel Blanqui répondait que comme les millions de travailleurs sans aucun droit il est "un prolétaire".
• Onfray insiste pour encenser ce "renégat "potentiel, acteur épisodique de l'histoire , "sans profession fixe : ".".. Si vous l'aviez voulu, vous Blanqui, à force de compromis vous auriez pu être un Gambetta, un Jules Ferry...".
• Blanqui aurait certainement apprécié ce rapprochement, lui qui traitait Gambetta de "traître habituel". Il faut dire qu'en juillet 1871, Gambetta, député champion de l'opportunisme conservateur qualifiait la Commune d' "insurrection criminelle", et vantait "le dévouement et la sagesse" des Conseils de Guerre qui avaient fait fusiller et déporter des milliers de Parisiens.
• Vous étiez un moins que rien, vous auriez pu être un fieffé salaud... tel est le propos d'Onfray. On peut donc rappeler ce que Blanqui disait des mérites d'un colonisateur à la Jules Ferry : "le capital se met à courir le Monde, faisant une chasse furieuse aux débouchés, chasse caractérisée par l'absence totale de scrupules, l'immoralité, la barbarie..." "Toutes les régions du Globe ont souffert et souffrent de la cupidité féroce de ces étrangers qui ne reculent devant aucune turpitude, devant aucun forfait pour assouvir leur soif de gain...".

• Quant à la morale laïque de Jules Ferry, elle est illustrée, un an après la mort de Blanqui, par une instruction que le ministre de l'Instruction et des Beaux Arts (sic) de l'époque, un certain Ferry Jules rédigeait à l'endroit de ses instituteurs hussards : "...Instruction du 27 juillet 1882 : L' École doit enseigner la bonne vieille morale de nos pères, la nôtre, la vôtre car nous n'en avions qu'une..." "...L'instituteur ne se substitue ni au prêtre ni au père de famille; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme..." S'il n'avait tenu qu'à lui, Ferry aurait même utilisé le même lieu, l'École, pour que curé et instit, en choeur, inculquent la même morale de la soumission à un dieu ou à une patrie.
• Ainsi, après avoir raté l' "occasion" d'être un "renégat", Blanqui aurait pu, s'il avait eu un tant soi peu le sens du "compromis" ou de "l'opportunisme" être un "traître" ou la doublure d'un spiritualiste convaincu.
• Et comme il a bien résisté à ces tentations, Blanqui reçoit un certificat de bonne conduite, pompeux et condescendant de la part de Maître Onfray : "...J'aime qu'on enracine un caractère dans ce qu'il est convenu d'appeler une expérience existentielle fondatrice (sic)..." "...Vous n'avez pas démérité..."
• Pourtant, assène l'auteur toujours sur le mode professoral : "...Vous êtes un incendiaire viscéral", un précautionneux qui évite "...une trop grande proximité avec les insurgés qui aiment les contacts..."; Vous êtes un romantique, un religieux de la politique, vous n'êtes "...jamais là où l'histoire se fait..", vous avez évité l'intendance pour exceller dans la mystique..."

• Mais Je vous absous, conclut Onfray du haut de sa chaire de faussaire, car j'admire votre "...envie faustienne de mettre la politique au service d'un hédonisme au quotidien...".

• Faussaire, car c'est tout simplement l'anti-portrait de Blanqui qui est tracé ici. Austère et sobre par force ou par discipline de vie (33 ans de geôle et 10 ans d'exil forcé), Blanqui est à l'opposé d'un hédoniste de bazar. Socialiste "pratique", comme il le disait lui même, et non pas "romantique". Après les journées de juillet 1830 et le départ de Charles X, il s'écriait en rentrant des affrontements des "Trois Glorieuses" : "Enfoncés, les Romantiques.
• Athée, farouche esprit critique, il pourchasse dans ses écrits (Critique sociale, création du journal « Ni Dieu Ni maître » etc.) avec la plus grande énergie tout ce qui touche au phénomène religieux, tous les agents de l'absolutisme religieux, tout ce qui cadenasse dans un dogme le jugement de l'individu. C'est lui qui souligne que tout spiritualiste "convaincu" est un assassin en puissance.
• Opposé à toute politique, à toute Constitution, à toute forme de gouvernement qui n'auraient pas pour fondement la justice sociale, Blanqui est le contraire d'un "Religieux de la politique". Il écrit : "Une forme de gouvernement n'est point un but mais un moyen et nous ne désirons une réforme politique que comme acheminement à une réforme sociale.". Ou encore : "Sans cette réorganisation radicale, toutes les modifications de forme dans le gouvernement ne seraient que mensonges, toutes les révolutions que comédies jouées au profit de quelques ambitieux".
• Quant aux perfidies gratuites, telles que celles de "l'incendiaire viscéral", du lâche toujours "absent de l'Histoire", aucun des ennemis les plus virulents de Blanqui, depuis Louis-Philippe jusqu'à Thiers en passant par Napoléon III, n'a jamais utilisé pour le poursuivre et le faire condamner de telles flatteries.

• drôle de goût

• Les premières pages du bouquin d'Onfray (celles reproduites dans Alternative Libertaire) peuvent mettre l'eau à la bouche. Enfin un texte qui va sortir du ronron habituel, qui va donner un nouveau souffle à des idées, des valeurs qui nous sont chères, qui va bousculer des certitudes (y compris les nôtres).
• Malheureusement le goût de faisandé s'installe progressivement et la pitance devient progressivement immangeable avec l'apothéose cadavéreuse des "43 camélias" destinés à enterrer une nouvelle fois Blanqui.

• Onfray, que j'ai invité dans mon émission d'actualité sur Radio-Libertaire a pu répondre à un certain nombre de critiques parmi celles exposées ici. Il a eu connaissance des notes qui m'ont servi à préparer l'émission et à faire ce texte. Le débat a été lisse...

• Michelle Beaujan, dont la critique aurait du faire la"Une" de la revue belge Alteernative.Libertaire, avec la tête d'Onfray agrémentée d'un bonnet d'Ane, conclut son papier en se demandant si le bouquin avait été écrit pour être compris par d'autres que des étudiants ou professeurs de philosophie.
• Aux autres, dit-elle, "ce livre intelligent et prudent" mais que vous ne pouvez comprendre peut-être, risque de vous apporter "la confirmation d'un indicible abandon". En effet ! Après avoir été frappé par "le livre le plus percutant de l'année", nous voila sur le carreau, étalés au sol sans connaissance, abandonnés à notre triste sort, résignés, soumis, vaincus.
• Pour ma part je crois que la situation n'est pas aussi désespérée. Le livre d'Onfray n'est ni intelligent ni prudent sauf s'il s'agit de le considérer comme un exercice de style pour le journal d'entreprise de la "Dandy-Hedonist Company Ltd".
• L'Intelligence aurait été de réussir à ne pas décourager la révolte du lecteur. C'est pourtant bien le risque encouru (joyeusement je l'espère, par l'auteur), si l'on en juge par l'hermétisme de la forme et l'approximation du fond de ses propos.
La Prudence aurait été de ne pas réduire la pensée anarchiste à des poncifs éculés ou à des affirmations gratuites. Onfray est encore loin d'imaginer que l'insoumission, la résistance, la révolte se fondent sur des valeurs qui lient étroitement le respect de l'individu à la justice sociale
• Il ne m'a pas paru inutile de saisir "l'occasion" ( comme dirait l'auteur à propos de Blanqui) d'utiliser un "faux-ami" pour rétablir quelques vérités.
• Paris le 25 janvier 1998
• Archibald Zurvan (La vache folle)

Notes : 1 La Politique du Rebelle page 205
2 Opus cité page 207
3 Opus cité page 208
4 Opus cité p.301,305,306,308,309,31,316