On se prépare
Chaque semaine, les soutiers des ondes libertaires, les disséqueurs d’infos, les chroniqueurs hebdos passent des heures à dépouiller l’actualité. Au crible de leurs cellules grises, ils tamisent les nouvelles, ils décortiquent les articles de journaux, ils s’astreignent à visionner le tapis incolore des images arrangées et souvent mensongères des télés. Le bruit monocorde des radios sans âme les tient agrippés, pour mieux réagir, à leurs tables d’écoute. Et puis, joyeusement, ils consacrent de longues heures à la préparation, à la mise en forme de leur émission de la semaine.
Les « artistes » modestes et joyeux
Mais enfin, direz vous, pourquoi tant de zèle ? Se mettraient-ils à sacraliser le travail, le dur labeur contraint dévolu à un chef terrestre ou divin. Joueraient ils les petits maîtres pour embrigader les foules, pour pratiquer ce que Camus appelait « l’Autorité d’Entrainement » ? Vous connaissez la réponse. Ils sont libres, libertaires, curieux, ils aiment prendre plaisir à ce qu’ils ont décidé de faire. Pour eux, pleins d’ambition, se faisant la grosse tète, amoureux de l’excellence, pourfendeurs de la médiocrité, cette émission est leur « œuvre d’art ». Mais pas pour eux tous seuls. Pour ceux qui les écoutent, dont ils ont eu la prétention d’éveiller la curiosité, l’esprit critique, de stimuler leur personnalité et leur volonté. Et, plus modestement, ils savent qu’ils participent de cette longue et pacifique guerre de trente ans (Radio Libertaire est né « officiellement » en 1981), pour la libération des têtes et des bras, pour l’émancipation et le combat individuel et collectif, pour la liberté et la justice sociale.
Expliquer l’Anarchie, c’est quoi ?..
Dans ce combat collectif, fondé sur la libre association et le contrat, les armes défensives sont la participation à la défense des victimes de l’injustice, à la manifestation, le rassemblement contre la violence du Pouvoir. Les armes offensives sont celles qui justifient l’action. L’échec de la révolution de 1848, disait Proudhon, était du à l’absence d’ « idée ». Aucune projet réfléchi, élaboré provisoirement, aucune prospective pour l’avenir n’étayait, ne soutenait l’action révolutionnaire. Elle n’était que le fruit de la colère contre l’injustice. Aujourd’hui, cette remarque est toujours valable. Quels outils avons nous pour faire connaître nos idées nos propositions, les valeurs de l’anarchie ?: en l’occurrence la librairie, le journal, la radio. Et ces « armes », l’Etat au service du privilège et de l’injustice, tente chaque jour de nous les arracher. La diffusion du Monde Libertaire est volontairement paralysée, les modestes librairies comme Publico sont étouffées par la concentration des outils d’édition et de distribution du livre. Dans cette bataille, la radio, qui tient le coup depuis trente ans, a un rôle essentiel. Par la permanence de ses émissions d’actualité, d’histoire, de créativité, de réflexions anarchistes, elle peut propager nos valeurs et apporter des lecteurs et des acheteurs à notre journal et notre librairie. Au besoin, ce genre d’émissions devraient être rediffusées le plus souvent possible. Des tentatives de cette nature ont été faites, malheureusement étouffées dans l’œuf. Il serait intelligent donc de les reprendre.
De bon matin, l’aventure…
Enfin, c’est le grand jour. Le jour est encore perdu dans la brume de la nuit, qu’ils se lèvent ; « Il est 6 heures, Paris s’éveille », leur chante leur mémoire sonore, sonnés qu’ils sont devant le réveil matin, tentant de retrouver leurs esprits grâce à la froidure de l’eau sur le visage et la chaleur d’un café express.
Alors vient le grand départ, le beau voyage vers le studio. La Lune est là, moqueuse, illuminée ou cachée par le nuage, la pluie ou la neige. A 7h30 après une journée de neige et une nuit glaciale, les centaines de mètres qui séparent la bouche de métro du studio deviennent une aventure plus que risquée. L’aventure est au coin de la rue…on aime.
Le studio nous tend les bras. La table de travail aussi. C’est l’heure des braves. 8 heures ! On se jette à l’eau.
Les radios radoteuses, les radios formatées « Voix de Son Maître » n’ont qu’à bien se tenir. Radio Libertaire leur a volé leur audience. C’est la reprise au tas, la propagande par le fait. Et nous, on se la joue triomphant, depuis le temps qu’on le préparait notre nouveau son de cloche.
Ciel !...On nous écoute !
Et voilà les premiers coups de fil, les réactions de ceux qui nous écoutent. Et on nous écoute de partout de près, le plus souvent, de loin quand on a la chance d’avoir pu s’offrir Internet. Faudrait voir à voir et pas se laisser domestiquer par ces « technologies nouvelles » qui ont un séduisant endroit et un sinistre revers caché.
Ah ! ces auditeurs du matin…des stimulants qui nous commentent, nous contredisent, des « réchauffeurs » de neurones. Ils s’étonnent même qu’on ait réussi à faire lever nos invités si tôt. Parce que, nous avons des invités. C’est même cette idée qui nous a fait bousculer nos vieilles habitudes. On allait lancer « Chronique Hebdo » dès potron-minet. Mais pas tous seuls. Rien de tel qu’une amicale compagnie pour commencer la journée à exciter son sens critique et à éclairer quelques esprits curieux.
Les Invités ont la parole…
Déjà, depuis un trimestre, 16 émissions « L’Invité de Chronique Hebdo ». Et non seulement on les fait venir à l’aube, nos chers invités, mais on leur demande de choisir le thème de leur intervention, en rapport avec l’actualité, bien sûr. Si vous êtes un fervent auditeur de RL et de Chronique Hebdo, vous ne serez pas surpris par les sujets abordés. Exemples : les « accapareurs » de la richesse, les « colonisateurs » des Villes, les « fabricants » du consentement et de la soumission, les « destructeurs » de l’environnement, les « Tours de Babel » de la démesure capitaliste et en contre point l’histoire de « La Commune de Paris », celle de Radio Libertaire, les « Observatoires critiques des Médias », les résistances à la « modernité régressive », aux « fêtes commémoratives » des guerres. Et sans oublier des rappels aux poètes, aux cinéastes, aux écrivains du temps passé ou présent.
Et puis après ?...
Vous savez tout, ou presque. La fête continuera en 2011. Dès février, nos invités seront quelques uns des intervenants au dernier colloque de la Société Proudhon. Les sujets abordés seront d’une actualité surprenante : la spoliation, au profit d’une classe dominante, privilégiée, de la richesse produite par les « producteurs » réels de cette richesse et la nécessité de trouver un nouveau modèle de relations économiques et sociales fondé, non plus sur la hiérarchie et l’autorité du puissant mais sur des rapports équilibrés et égalitaires entre les parties prenantes ; c’est le projet mutualiste, la Mutualité, dont des prémices ont existé à la fin du 19 ème et au début du 20 ème siècle. , en France notamment. Mais, arriver à faire disparaître ou même à atténuer la domination capitaliste fut une autre affaire. L’adjectif « mutuel » est même devenu, aujourd’hui un logo publicitaire capitaliste. Un autre thème, fondamental, est celui de la vie en commun, de la sociabilité, de l’attention porté à l’autre, du respect de la personne, de la fabrication d’un « collectif » fait d’individualités autonomes et fortes. Le combat permanent qui est inhérent à la vie des sociétés et qui est fait d’affrontement d’idées, de conflits d’intérêt, de multiples polémiques ne doit pas déboucher sur l’élimination, l’exploitation, l’humiliation. Proudhon a été lui même un combattant mais aussi un prisonnier, un exilé très affecté par l’isolement et l’éloignement de ses compagnons de lutte. Cet attachement passionné à l’individu (dignité) et au lien social (solidarité, égalité), s’illustrait, au plan personnel, par le nombre de ses amis et son « hymne » à l’Amitié.
Vous comprendrez, ainsi, que, si nous poursuivons sans relâche notre « travail d’Hercule », le moteur est le « Père de l’Anarchie », notre ami Pierre Joseph qui a contribué largement à lancer cette aventure d’un combat sans trêve ni butoir, pour la Justice.
(1) « Chronique Hebdo », émission tous les jeudis (8- 11heures) sur Radio Libertaire. 89,4.
Le 7 janvier 2011 AZ