mardi 27 mai 2008

Le Juste et L'Egoiste Stirner-Proudhon

LE JUSTE ET L'ÉGOÏSTE

STIRNER et PROUDHON

L'ÉDUCATION...? MAIS POUR QUI ?


Dans l'Introduction par laquelle a été présenté le Colloque de la Société Proudhon , en décembre 1994, on peut lire, parmi les questions abordées sur le thème de l'Éducation, celle-ci : Quels types d'hommes veut-on former ? 15 ans plus tard, cet éternel sujet est évidemment toujours d’actualité.

C'est sur cet aspect particulier du thème général que je voudrais présenter mes observations, à la lumière des réflexions de ces deux penseurs.

Pour autant, la question ainsi délimitée, s'inscrit dans la problématique générale, examinée par ailleurs, du rapport de l'Éducation à la Société et à son histoire.

De quel monde sommes-nous sortis, dans lequel vivons-nous ? Où voulons-nous aller ?

Toutes les époques ne seraient-t-elles que des époques de transition, de voyage vers l'inconnu ?

L’éditorialiste du Monde Diplomatique (1), s'avoue impuissant à définir ce voyage. Cinq ans après la chute du mur de Berlin, « nul ne sait comment qualifier cette ère nouvelle dans laquelle nous sommes depuis lors entrés ? » Et il s'interroge : « qu'est ce qui caractérise le monde aujourd'hui ? Quelles sont les principales lignes de force de cette formidable période de transition ? » Et il ajoute :
Contre « la main invisible » qui « régit despotiquement l'ensemble de l'activité humaine... peut-on oublier que la démocratie demeure essentiellement un projet éthique fondé sur la vertu et sur un système de valeurs sociales et morales qui donne un sens à l'exercice du pouvoir ? »

Or la démocratie, au sens que paraît lui donner le journaliste, et loin de ressembler à cette « démopédie », chère à Proudhon. N'est-elle pas, plutôt ;un mot refuge d'une fragilité telle qu'elle ne peut fonder ces valeurs ?

Analysant la réalité sociale de son époque , Proudhon remarque au contraire :« ...C'est le contexte de la vie réelle suggérée par la nature et de l'Éducation factice... qui a fait naître en moi le doute philosophique, et m'a mis en garde contre les opinions des sectes et les institutions des sociétés... »(2).

Et l'éducation de tous n'est-elle pas d'abord celle de chacun. La tienne, la mienne ?

L'incertitude, l'inquiétude, face aux temps présents, conduisent des penseurs modernes vers des refuges ou des renoncements. Dans un entretien (3) entre Blandine Kriegel et Marcel Gauchet, ce constat est éloquent. Tandis que l'une se réfugie dans une nouvelle version du « droit naturel » de la « nature humaine », l'autre, interrogé sur les Droits de l'homme et la Révolution française écrit : « ... la tension entre les droits individuels et le pouvoir social est en train de rendre extrêmement problématique l'exercice de l'éducation. Celle-ci suppose à la base une certaine antériorité et une certaine supériorité du monde de la culture sur les repères spontanés des individus. Elle comporte une part inéliminable d'imposition normative. Or, force est de constater que cette base est de plus en plus érodée par le principe d'affirmation de soi. Peut-être la société des individus est-elle destinée à s'avérer une société d'individus inéducables... en même temps du reste qu'avides d'éducation au titre de leur épanouissement personnel... »

Et il ajoute, dans un frisson religieux plein d'espérance : « ... rien ne permet d'exclure la réinstauration d'un ordre sacral, même si rien ne l'annonce pour le moment »...

Ainsi, pour ce penseur de la fin du vingtième siècle, le « principe d'affirmation de soi », mesure de la personnalité de l'individu, aurait connu une réalisation, serait entré dans les faits et aurait ainsi abouti à fabriquer des individus « inéducables ».
Au moins cette tragédie aurait-elle laissé ces « inéducables » « avides d'éducation au titre de leur épanouissement personnel. Cela signifierait que leur « inéducabitité » ne les a pas dégoûtés de l'éducation et qu'ils cherchent par eux-mêmes, sans modèle contraignant, leur épanouissement personnel.
Il faut croire que, selon ce « penseur », le « développement, la formation d'un être humain » qui définissent l'éducation, n'ont rien à voir avec l'épanouissement personnel.
L'idée, qu'au nom de son « antériorité », de sa « supériorité », le monde de la culture pourrait « imposer » sa vérité comme indiscutable et ainsi former à son moule des créatures normalisées, est sans rapport avec un processus éducatif.
Condorcet le soulignait avec force, pour qui l'école ne peut plus être regardée comme un outil d'adaptation sociale, mais un organe de la liberté, pour qui tirer autorité du passé ou de l'ordre établi est inacceptable : « ... tout ce qui porte l'empreinte du temps doit inspirer la défiance bien plus que le respect »... (4).
« ...les législateurs ne doivent pas se borner à ne pas mettre obstacle aux lumières qui pourraient conduire les citoyens à des vérités contraires à leur opinion personnelle ; il fait qu'ils aient la générosité, ou plutôt l'équité de préparer eux-mêmes ces lumières »... (5)

Deux hommes qui ne renoncent pas.
Proudhon, « sentinelle avancée de la révolution », se bat pour faire avancer les principes inaugurés par 1789, détournés et reniés par la suite, et sur lesquels peut s'établir selon lui une justice, une éthique de l'individu et de la société.

Stirner, (décembre 1994 marque le 150e anniversaire de la parution de son œuvre "Unique"), (6) souligne, dans un article publié en avril 1842 dans la Gazette Rhénane et qui s'intitule « Le faux principe de notre éducation », que l'essentiel est la formation du caractère et la construction d'une morale personnelle, au-delà des querelles sur les programmes éducatifs. Une éducation, qui « converge vers un foyer unique : la personnalité ».

Si pour Proudhon, la Révolution est indiscutablement fondatrice, Stirner se pose la question de savoir ce qui peut « exprimer le mieux l'esprit » de son temps. Il considère qu'il est de ceux dont l'intervention dans le débat peut faire avancer les choses.

« Sans notre intervention, notre temps ne donnera pas naissance au terme adéquat ».

Il se propose, pour répondre à une mode (elle aussi éternelle) de classification des idées générales, de se placer dans le camp « des moralistes », des « personnalistes »(6bis), puisque « l'objectif final est l'éducation morale ou la formation éthique » de la personne.

Il ne s'agit pas d'une morale positive, mais d'une démarche renforçant « l'éveil de la force d'opposition » « affirmant une volonté, non pas brisée, niais transfigurée ». (7)


1. Les Créatures, les Fidèles de Dieu ou de la Cité

« ... Qu'est-ce que l'homme devant les dieux, avait demandé le prêtre ?
Qu'est-ce que l'homme devant la cité ? demande à son tour l'homme d'État. Et le communisme, l'impérialisme, l'utopie envahirent la terre ; on fit bon marché de la personne humaine... il n'y eut plus que des sujets et des fidèles ». (8)
« ... l'homme veut être respecté pour lui même, et se faire respecter lui-même. Seul il est son garant, son protecteur, son vengeur. Dès que sous prétexte de raison d'État ou de religion des dieux vous créez un principe de droit supérieur à l'humanité et à la personne, tôt ou tard le respect de ce principe fera perdre de vue le respect de l'homme »...

Quant à Stirner, il se pose la question de savoir si nous voulons former des « créatures » ou des « créateurs ». (9)

Abstraction et raison

Proudhon souligne le danger inhérent à tout concept, à toute spéculation intellectuelle non fondée sur la réalité observable.

Il convient de ne pas raisonner sur « l'en-soi des phénomènes, sur l'absolu ». (10).

« ...le fait que la vue d'une chose nous conduit à désigner dans notre langage « l'en-soi » des phénomènes, l'absolu... ne nous permet pas de raisonner de l'absolu lui-même comme d'une chose donnée dans notre empirisme et notre raison pratique »...
Et pour expliciter son analyse, Proudhon cite les « conceptions » ou « concepts » d'espace, de temps, de matière, qui en eux-mêmes ne sont que des spéculations ni sujettes à « démonstration », ni des éléments de « connaissance ». ( 11)

Quant à Stirner, il va plus loin encore ; pour lui, il convient de ne pas faire preuve d'humilité devant le « spirituel », devant « les œuvres de l'esprit ».

« L'idée en tant que telle » ne doit pas être à l'origine d'une quelconque mauvaise conscience, d'un abaissement, d'un renoncement de la personne qui l'examine.
« ... Au lieu de dire « je suis plus qu'esprit », tu dis tout contrit : je suis moins qu'esprit et l'esprit, l'esprit pur, celui qui n'est rien qu'esprit – je ne peux que l'imaginer – mais je ne le suis pas et comme je ne le suis pas, c'est forcément un autre qui l'est, il existe en tant qu'autre et cet autre je le nomme dieu »...
« II est dans la nature même de l'esprit pur, qui doit exister en tant qu'esprit pur, d'être transcendantal ». (12)

Il est difficile selon lui, de se défaire de notre prédisposition à déifier, à sacraliser une idée, une vérité.
L'idée et le langage « de bon sens » qui l'exprime sont des pièges.
« On ne se débarrasse pas aussi facilement du sacré que d'aucuns le prétendent de nos jours, qui ne prononcent plus ce mot inconvenant ». (13)

Stirner démasque la signification fermée, dogmatique, sacralisatrice de certains concepts que, plus ou moins consciemment nous prenons pour des vérités indiscutables.. Ainsi dit-il, « ... si je suis encore, ne serait-ce que dans un cas particulier, traité péjorativement d'égoïste, c'est que persiste la pensée d'une autre chose que je devrais servir plus que moi-même, qui devrait m'importer plus que tout, bref de quelque chose en quoi je devrais chercher mon vrai salut, d'un sacré »... (14)

Stirner stigmatise cet aveuglement, ce refuge hypocrite dans un sacré supraterrestre ou banalement terrestre.

Cet hypocrite à beau « se secouer », « se mortifier » en croyant servir un idéal plus haut que lui, vers lequel il pense « s'élever », il n'en reste pas moins, « un égoïste involontaire » qui « n'agit en fin de compte que pour son intérêt ». (15)

Outre le piège du sens commun, le « Moi » se heurte à ce qu'il a plus ou moins « intériorisé » de la culture et de la morale religieuse inculquée : le péché originel, la faute à racheter, le mépris de soi, de son « enveloppe terrestre », l'acceptation de son sort, de son impuissance, de sa déchéance, la glorification de l'humilité, de l'humiliation, de la soumission à l'Ordre établi, à la hiérarchie.

Stirner reproche à Proudhon sa timidité. Pourquoi dire non à la « transcendance », à « Dieu », et la « réincorporer » dans l'homme sous la forme de « l'immanence ». Pourquoi parler d'éternité et d'absolu de la loi morale, dit il, en citant « De la Création de l'Ordre »... « comme si le règne de la morale n'était pas la domination absolue du Sacré, une Hiérarchie » ... (16)

Ce à quoi Proudhon semble, en partie, répondre en faisant découler de cette propriété « immanente », la « connaissance du juste et de l'injuste », connaissance fruit d'une « faculté spéciale » et du jugement que la raison porte ensuite sur ses actes. « D'où il suit que la justice étant le produit de la conscience, chacun se trouve juge en dernier ressort du bien et du mal »... ( 17)

De même avant d'accepter sans nuance et de prendre à son compte, avec son poids de morale positive le concept de « Vol », Proudhon aurait pu le faire passer à l'étamine de sa critique : « ... C'est parce que le vol passe sans aucun doute pour abominable à ses yeux, que Proudhon croit avoir flétri la propriété en disant qu'elle est le vol ; certes, aux yeux des curés le vol est toujours un crime ou au moins une faute »... (18)

Par rapport au « divin » dont on prétend s'être débarrassé, la morale « inculquée » ne représente qu'un « changement de maître »...

Il importe donc de ne pas tomber dans la dépendance de la « crainte » intériorisée, de ne pas adhérer à une force extérieure, à une foi, une « croyance ». Le « respect éternisé, divinisé » est source de passivité. Il étouffe la création propre. « ...l'homme désormais ne crée plus, il apprend (par la connaissance, la recherche...), c'est-à-dire qu'il se consacre à un objet fixe, s'y plongeant sans faire retour sur lui-même. Son rapport à cet objet est celui du savoir, de l'approfondissement, du fondement etc... et non pas celui de la dissolution, de l'abolition etc... » ( 19)

En cela la domination, la « hiérarchie », n'est pas seulement la relation physique ou intellectuelle du maître à l'inférieur, et vice-versa, elle est aussi « la domination des pensées, de l'esprit »...
L'esprit critique, la « dissolution » de Stirner, est l'arme essentielle pour éviter que des pensées, des « vérités » ne s'installent indestructibles et éternelles. « ... je détruis en elles toute velléité d'indépendance et les « absorbe » avant qu'elles aient pu se « fixer », devenant « idées fixes » ou « manies » ».

Il convient, en effet de ne pas remplacer la volonté divine, la morale transcendantale par une quelconque « mission de l'homme »…
Pour Stirner, « la Bonne Éducation, celle qui consiste, dans la langue populaire à « Faire le caractère », c'est-à-dire à tenter de le détruire, est une forme d'attentat contre le « Moi » ». « ...un homme bien éduqué est un homme auquel de bons principes ont été inculqués, imprimés, entonnés, serinés et prêchés »... (20)
Proudhon écrit : « … le meilleur système d'éducation pour moi sera celui qui laissera le plus à l'initiative de l'élève : Excitez, Avertissez, Renseignez, Instruisez, mais n'Inculquez pas !... » (21)

2. INDIVIDU et INSTITUTIONS

Si « .. le christianisme par son principe, par toute sa théologie est la condamnation du Moi humain, le mépris de la personne et le viol de la conscience », il n'est pas seul à entraver l'épanouissement de l'individu. (22)
L'État, pour Proudhon, est « étranger au droit, indifférent à toute idée morale, simple instrument de force »...
« ... le progrès de la Justice est à l'inverse de toute formule tendant à dissoudre la personnalité dans la Société ou l'État... » (23)

Même objectif mortifère chez les réformateurs sociaux avides d’un pouvoir niveleur : «… distinguez nettement notre école, l'école de la liberté progressive indéfinie, d'avec les sectes socialistes, qui sous des noms divers n'aspirent au nom de la Société qu'à tuer l'individu »… (24).

Ni « organisme », ni « système ». Ce qu'il faut pour « assurer la plus grande indépendance des individus et des groupes », c'est « le pacte de liberté, son équation de personne à personne, ce qui comporte au point de vue de l'idéal, la plus grande variétés de combinaisons »...

L'individu ne peut se construire et se développer qu'en permanente confrontation, opposition avec l'État et ses agents.

Stirner remarque : « ... L' État peut-il faire que l'homme prenne conscience de lui-même ou seulement se proposer un tel but ? Peut-il vouloir que l'individu reconnaisse sa valeur et la réalise ? »… (25)
La réponse est négative. Même s'il tolère des exceptions, l'État ne peut « ... par principe accepter l'autoréalisation du moi, c'est-à-dire aussi de sa conscience de lui-même contre l'Etat »... « autoréalisation qui se dresse fatalement contre la Société »...

D'ailleurs l'État le reconnaît quelquefois. « ... La grande difficulté du temps présent est la direction et le gouvernement des esprits. C'était autrefois l'Église qui remplissait cette mission et elle n'y suffit plus maintenant. On doit attendre ce grand service de l'Université... Nous, le gouvernement, avons le devoir de la soutenir dans cette tâche. La Charte veut en effet la liberté de pensée et de conscience... » Ainsi, commente Stirner, « c'est en faveur des libertés de pensée et de conscience que le ministre réclame « la Direction et le Gouvernement des esprits » »... (26)

De la même façon, s'illusionnent, s'ils pensent ainsi servir l'individu, les réformateurs sociaux, ceux qui « … veulent édifier une Société où les hommes ne dépendront plus de la chance mais seront libres car ils ne voient en toi que ta « destinée », ta « vocation sociale » »… (27)

« ... les communistes qui proclament essence de l'homme sa libre activité ont besoin... d'un Dimanche..., d'une « élévation », d'une « édification » parallèlement à leur « travail » déspiritualisé. Quand le communiste voit en toi l'homme, le frère, Tu ne le dois qu'au coté « dominical » de sa doctrine ; son coté « hebdomadaire » ne te considère absolument pas comme un homme sans plus, mais comme un travailleur humain, un homme travailleur... Si tu étais un fainéant, il ne méconnaîtrait certes pas l'homme en toi, mais s'efforcerait de purifier cet homme paresseux de sa paresse et de t'amener à croire que le travail est ta « destinée » et la « vocation » de l'homme...

... « c'est toujours le beau rêve d'un « devoir social » : on continue de penser que la Société nous donne ce dont nous avons besoin, d'où nos obligations et notre dette globale envers elle... On en reste à vouloir servir un dispensateur suprême de tous biens... La Société, dont nous tenons tout est un nouveau maître, un nouveau fantôme, un nouvel être suprême qui nous oblige et nous engage à son service... ». (28)

C'est la même constatation apparemment résignée que fait Proudhon lorsqu'il dit :
« ... Dans la conscience de l'homme d'État… la Grande morale l'emporte sur la morale vulgaire. Pour lui les distinctions accoutumées du juste et de l'injuste... s'intervertissent dès qu'il est question de salut public, de la raison d'État. Ce qui est utile à la Société, c'est-à-dire à la hiérarchie est le vrai bien... ce qui peut lui nuire... le vrai mal… Tant mieux pour le citoyen dont le droit y est conforme, tant pis pour celui dont le droit y est contraire... La Société n'existe qu'à ce prix... Islam... Résignez vous ?... » (29)


3. Personnalité du Juste et de l'Égoïste

Se frotter aux réalités : le courage

« ... L'enfant captivé par les choses de ce monde est réaliste jusqu'à ce qu'il soit parvenu lentement derrière ces choses elles-mêmes. Le jeune homme enthousiasmé par les idées est idéaliste jusqu'à ce qu'il se hausse à l'état d'homme, de l'homme égoïste qui en use des choses et des pensées selon son bon plaisir et fait passer son intérêt personnel avant tout. Quant au vieillard enfin, il me sera suffisamment temps d'en parler quand j'en serai un »... (30)

Stirner rappelle que notre auto-affirmation, notre prise de conscience, notre première découverte de soi, a été l'effet de notre courage d'enfant à la rude découverte du monde.

Stirner décrit ce courage « Derrière l'inquiétante puissance de la baguette, la mine sévère du père... nous trouvons... notre inébranlabilité, notre intrépidité, notre contre-violence, notre prépondérance, notre invincibilité... et qu'est-ce donc que notre ruse, notre intelligence, notre courage, notre obstination sinon l'esprit… la première découverte de Soi, la première dé-divinisation du divin, c'est-à-dire de l'inquiétant, des spectres, des puissances supérieures ». (31)

C'est donc ce courage, cette obstination, qu'il va falloir affirmer, déployer au cours des tribulations de l'adolescence (découverte de la raison, d'idéaux à poursuivre) puis de l'âge adulte dans la bataille contre les « fantômes », les « idées fixes », le fanatisme (les « possédés ».

Proudhon expose : « Je ne nie pas qu'il y ait quelque utilité pour tout le monde à ce que l'individu tire de ses facultés, et rende à ses semblables, le meilleur service possible, mais je pense que la vie étant un combat, l'homme un être libre, c'est pour ce combat qu'il importe de l'armer, ce qui se fera beaucoup moins par l'esprit que par le caractère. Il faudra donc qu'un homme soit préparé pour toutes les situations et qu'il s'y montre digne et joyeux, sinon triomphant. » (32)

Et Stirner : « ... L'immense importance de l'allégresse sans pensée n'a pu être reconnue pendant la longue nuit de la pensée et de la foi... »

Montrer sa force de caractère, c'est ne pas s'arrêter à des scrupules sacralisés, c'est « savoir « couper court » aux problèmes les plus ardus, aux tâches les plus vastes », dès l'instant que « c'est toi qui te les as fixés ». (33)

La « désinvolture » est aussi une force qui consiste à « se secouer », « bondir », pousser des « hourrahs d'allégresse ». En cela il s'agit de faire fond sur soi-même pour découvrir, démasquer par sa « virtuosité » propre, le fond caché de toute cause dite sacrée mais hypocritement égoïste.

« Se Percevoir »

Ce regard sur ce qu'on peut, ce qu'on veut et sur l'issue du combat que l'on engage, on le trouve chez Stirner mais aussi chez Proudhon. Il est d'une ironique acuité.
Proudhon a consacré ce qu'on pourrait appeler une ode à l'ironie avec autant de poésie et de chaleureuse sensibilité que ce qu'il dit de l'amitié.

« ... La liberté comme la raison, n'existe et ne se manifeste que par le dédain incessant de ses propres œuvres : elle périt dès qu'elle s'adore. C'est pourquoi l'ironie fut de tout temps le caractère du génie philosophique et libéral... l'instrument irrésistible du progrès... Ironie, vraie Liberté ! C'est toi qui me délivres de l'ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l'admiration des grands personnages, des mystifications de la politique... de l'adoration de moi-même... » (34)

Stirner se gausse de la morale du « gagneur » qui n'est que la béquille du faible, l'emplâtre du « possédé », du « prisonnier » d'une croyance sacrée : « ... Je couvrirai sans doute aussi bien ma propriété de mon bouclier en tant que propriétaire des pensées, que je ne laisse de bon gré, en tant que propriétaire des choses, le premier venu y porter la main. Mais c'est avec le sourire que j'attendrai l'issue du combat, avec le sourire que je recouvrirai le cadavre de mes pensées et de ma foi, avec le sourire que battu, je triompherai. Là est précisément l'humour de la chose. Le manifester à propos de la petitesse des hommes est à la portée de tous ceux qui ont « des sentiments élevés », mais le laisser jouer avec toutes les « grandes pensées », « sentiments sublimes », « nobles enthousiasmes », et croyances sacrées, présuppose que je suis propriétaire de tout ». (35)

Force et Volonté

Proudhon, assailli par les critiques de ses amis sur son ouvrage « La Guerre et la Paix », écrit : « Soyons forts, c'est à dire cessons d'être lâches... redevenons des hommes et nous serons libres... mais nous aimons mieux balbutier le mot de liberté dans notre aplatissement que de nous relever dans notre énergie ; et nous croyons que la liberté et le droit nous reviendrons par la seule vertu de l'idée ! Quelle déchéance ! »... (36)

Quant à Stirner, il avait écrit dans « Le Faux Principe de notre Education » : « ... L'éducation pratique nous enseigne à faire notre chemin dans la vie... L'éducation « libre et personnelle » nous donne le pouvoir de faire jaillir des profondeurs du moi l'étincelle de vie... celle la prépare à être chez soi dans un monde donné, celle-ci à être chez soi dans soi-même »... Il ajoute :
« ... il ne faut pas tant inculquer le savoir que conduire l'individu à son plein épanouissement »...

« ... il faut susciter chez l'enfant l'opposition... cette force naturelle de la volonté... » « ... nous ne pouvons exprimer toute notre personnalité quand nous nous comportons en membres utiles de la Société, mais nous pouvons le faire parfaitement quand nous sommes des hommes libres, auto-créateurs, quand nous créons nous-mêmes... » (37)

On retrouve la même hostilité à un « savoir inculqué ». C'est « l'opposition » qu'il faut « susciter », cette opposition qui est « la force naturelle de la volonté »... Ainsi pourrons-nous être des « auto-créateurs », « nous créer nous-mêmes ».

S'approprier le Savoir

Dans « Le Faux Principe de notre Éducation », Stirner situe le rôle dévolu à la Connaissance :
« ... Si le Savoir donne la liberté extérieure (liberté à 1aquelle il ne faudra plus jamais renoncer), seule la Volonté peut nous donner la liberté intérieure, celle qui seule peut nous éviter de rester « esclaves » malgré toutes les libertés de conscience et d'opinion »... Et il ajoute, dans une formule ramassée : « Le Savoir doit mourir pour ressusciter en Volonté et se Recréer chaque jour en libre Personnalité ». (38)

Cette « re-création » du savoir, cette « auto-création de l’« Unique » n'est pas sans soulever de multiples obstacles et notamment dans la relation entre celui qui sait, le maître et l'élève.

Abordant ce sujet, Proudhon évoque l'idée d'un rapport de « frère aîné », d'instruction mutuelle, et souligne que l'activité dans un travail « créateur » est une forme de pédagogie pour tout le temps de l'existence.

Stirner pense que les Institutions subordonnées à l'État ou à toute autre secte ne peuvent vouloir être, à peine de se condamner,une école de volonté pour l'individu.

Henri Michaux écrit « N'apprends qu'avec réserve. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que, naïf, soumis, tu t'es laissé mettre dans la tête – innocent – sans songer aux conséquences... » (39)

Pourtant Stirner, refusant la « mission » de l'homme, niant « l'homme vrai », soulignant la perversité du mensonge religieux ou « humaniste » sur l'imperfection fondatrice (nous sommes tous parfaits, dit-il), ne néglige rien des acquis du savoir accumulé dans l'histoire.

« … j'accepte avec reconnaissance les acquisitions de siècles d'éducation… Je ne veux rien en rejeter ni céder. Je n'ai pas vécu en vain. La connaissance, résultant de l'expérience de mon pouvoir sur ma nature et de ce que je n'ai pas à être l'esclave de mes désirs, ne doit pas être perdue pour moi ; celle de la possibilité que m'offrent de maîtriser le Monde les moyens fournis par l'éducation, a été par ailleurs trop chèrement acquise pour que je puisse l'oublier. Mais je veux plus encore... » (40)

S'affirmer sans se Figer

Ce plus, c'est ma volonté, mon pouvoir, mon énergie pour agir librement.

Contre le principe de « fixité », l'immobile, le stable, Stirner souligne la nécessité de ne pas se figer, d'être capable de « poursuivre librement des pensées libres » : « ...Une pensée ne m'est propre que lorsque je n'hésite pas à mettre à chaque instant son existence en jeu, n'ayant pas à craindre sa perte comme une perte pour moi ».

« ... La pensée n'est proprement mienne que lorsque je peux la subjuguer, tandis qu'elle ne le peut jamais, ne peut jamais me fanatiser, jamais faire de moi l'instrument de sa réalisation ». (41)

Dans ce sens, Stirner stigmatise l'esprit de « hiérarchie » si profondément intériorisé par les hommes, l'esprit de « système », carcan, « constitution absolue » de vérités indiscutables...

À l'inverse, la seule façon de s'affirmer sans se figer, c'est un enseignement « égoïste » : « ... Ce dont nous avons besoin (42) c'est d'une liberté de l'enseignement égoïste, pour chaque particularité, où je devienne perceptible et puisse me manifester sans entraves »... car « le Moi est la mesure de toute chose ». (43)

La Guerre de Tous contre Tous

Dans une société où tu ne peux disposer que de ce que la Collectivité, l'État te concède à la mesure de ton utilité pour lui, de tes services, de tes mérites, c'est-à-dire à proportion de ta soumission à ses lois, à la « pensée dominante » – celle que tu as cherché et cru choisir – « semblable en cela au chien qui flaire les gens pour trouver son maître » (44) ne crois-tu pas « qu'est déclarée la guerre de tous contre tous » (45) « N'oublions pas dit Proudhon (45 bis) qu'aucun progrès ne s'effectue sans violence et que la force est en dernier résultat l'unique moyen de manifestation de l'idée »...

Proudhon souligne que « ... ce qui rend la création possible est la même chose que ce qui rend la liberté possible : l'opposition de puissances... » (46) « Je vois partout des forces en lutte »... ajoute t-il. « La guerre est universelle et de cette guerre résulte l'équilibre »...

Bien entendu, il y a dans ce constat de Proudhon un essai d'explication historico-philosophique de la guerre que l'on ne trouve pas chez Stirner. La lutte entre des forces opposées, contradictoires, est nécessaire à l'équilibre fondateur d'une juste relation entre les hommes et réconciliateur du « droit avec l'idéal » : « Lorsque droit et idéal sont séparés... sous une apparence de paix la société est à l'état de guerre ; elle se consume de ses propres feux ». (47)

Mais il n'y a pas de raison de donner au mot guerre une signification autre que celle que l'on donne aujourd'hui à la guerre économique ou à tous ses dérivés empruntés à la stratégie militaire...

Notons aussi que s'il la pare d'un habit juridique, en faisant de la force un « droit de la force », Proudhon la rattache à une « faculté humaine ». « ...le droit de la force est le plus simple et le plus élémentaire des droits. C'est l'hommage rendu à l'homme pour sa force. Comme tout autre droit il n'existe que sous condition de réciprocité... la reconnaissance de la force supérieure n'implique nullement la négation de l'inférieure, le droit qui appartient à la première ne détruit pas celui de la seconde... » (48)

Même si pour Proudhon, « la force n'a droit que si elle est humaine, c'est-à-dire intelligente, morale et libre »..., il faut bien constater qu'elle peut aussi « se réduire à l'état brut » et dans ce cas « elle appartient à la pensée qui s'en empare et elle compte à son profit ». (49)

Ainsi en est-il, reconnaît Proudhon, tant que les « citoyens n'auront pas trouvé qu'ils ont plus à gagner par le travail que par la rente »..., qu'il n'auront pas « brisé, au nom du droit de la force, synonyme du droit au travail, la suzeraineté de l'argent... changé le rapport du travail et du capital »...

Il faut donc constater que : « La guerre anime la société ; sa pensée, son influence sont partout présentes... Elle a fait la société ce qu'elle est ». (50)

Déjà en 1850, il écrivait « ... oui, force fait droit : seulement la question est de savoir comment nous évaluerons la force. Le droit est la mesure et la comparaison des forces. La démocratie n'est autre chose que l'art d'égaliser non les droits mais les forces des citoyens… » (51)

Sans attendre que les citoyens aient changé d'opinion sur l'ordre de préséance entre le travail et le capital, ni qu'une démocratie ait « égalisé » les « forces » de ses membres, Stirner donne la priorité à la construction, à la manifestation concrète de la force, de la capacité de l'Unique… Dès qu'il le peut, 1'individu doit rompre les amarres, se construire, s'édifier, se redresser lui même, au sens plein de l'instruction (latin « Instruere »).

« Ce qu'un homme peut devenir, il le devient », dit-il, même si partout, dans l'univers, il y a « des plus ou moins doués »... même si « les têtes bornées de naissance forment sans contredit possible la plus riche catégorie d'hommes »...

Pour Stirner qui constate l'état de guerre d'une société où les « possédés », les « maniaques », les « hommes à idée fixe », les « fanatiques » font la loi, la force est une manifestation de la capacité de survie et d'action du moi.

Il écrit à propos de cette société en état de guerre et fondée sur des hiérarchies ou des transcendances : « je considère comme de véritables fous, des fous à enfermer, les hommes qui se raccrochent à quelque chose de supérieur »... (52)

Et encore : « ... de même que des écrivains noircissent des pages sur le sujet de l'État sans jamais mettre en question l'idée de l'État, que nos journaux regorgent de politique parce qu'ils ne peuvent se libérer de l'illusion que l'homme a été créé pour être un animal politique, ainsi les sujets continuent à végéter dans leur sujétion, les hommes vertueux dans leur vertu, les « libéraux » dans leur « être humain », etc... sans jamais porter le couteau tranchant de la critique dans aucune de ces idées fixes... En vérité, l'idée fixe, voila le Sacré !.. (53)

Tous les « possédés » sont acharnés dans leurs opinions, ce sont des « enthousiastes parfaits » et donc des « fanatiques ».

Vertus de l'égoïste

On pourrait en partant des observations précédentes tenter de dresser un tableau des vertus qu'une éducation libre et personnelle, jointe à des qualités propres allant au-delà du médiocre, pourrait faire s'épanouir chez l'égoïste.

S'il n'accepte pas de subir la folie des possédés, l'égoïste exerce sa force, jouit de lui même et du monde à la mesure de son propre pouvoir.

II ne quémande pas, n'accepte pas une aumône, ne mendie pas sa liberté… Il est fier, sans témérité.

Il peut renoncer par manque de moyens propres à un but qu'il s'est donné, mais dans ce renoncement circonstanciel, il ne « nie pas » sa « particularité ». Il peut « abandonner » un comportement antérieur parce qu'il ne conduit pas au but », « quitter une fausse voie », mais il ne « se soumet ni capitule ».

Il est persévérant, il ne renonce pas : il ne « respecte pas » l’« inaccessible », « l'inconcevable » ; il ne renonce pas. « ... si je trouve un jour le moyen d'aller jusqu'à toi... (la Lune)... tu ne m'effraieras pas... » ; « quant à toi, inconcevable, tu ne demeureras tel pour moi, que jusqu'à ce que, ayant acquis le pouvoir de comprendre, je puisse m'emparer de toi et te nommer mon bien propre... » ; « je ne me donne pas pour battu et ne fais qu'attendre mon heure... » (54)

L'Égoïste doit se débarrasser de « l'hypocrite » que « des milliers d'années de Culture » ont créé. Il doit se délivrer des « respects d'enfant » dont il est prisonnier, il se « borne à se reconnaître et à reconnaître » ce qu'il est ici et maintenant.

Il identifie et débusque tous les préceptes religieux ou moraux qui ont paralysé son esprit critique, qui ont tenté d'étouffer au nom d'un « fantôme », les désirs et les pensées fruits de sa volonté propre, de sa particularité.

L'Unique ne se laisse pas bercer d'illusions, berner par des promesses, des excitations fanatiques ou des chimères… » « La » liberté peut en être une, une chimère…Par contre, « Ma » liberté est « complète... lorsqu'elle est mon pouvoir; mais je cesse par là-même de n’être qu'un homme libre, pour devenir un Moi propre... » Donnée ou octroyée, la liberté est un vain mot. » « ... je ne peux avoir plus de liberté que je ne m'en procure grâce à ma particularité... » (55)

« … Que sert-il aux moutons que nul ne restreigne leur liberté de parole ?... ils ne feront jamais que bêler. Donnez à un croyant, qu'il soit musulman, juif ou chrétien, la permission de dire ce qu'il voudra. Il n'aura jamais que des niaiseries bornées à raconter... » (55bis)

L'Unique est le maître de ses passions. Il les maîtrise. Il n'est pas « possédé ». Le délire fanatique, la démesure, la folie l'entourent et il y résiste... Il reste maître de lui. « ... je ne suis mon moi propre que lorsque ni la sensualité – ni quoi que ce soit d'autre – dieu, autorités, loi, évangile, etc... ne me tiennent en leur pouvoir... »

Mais il n'est pas replié sur soi, isolé du monde. Il n'est ni passif ni solitaire. Il est volonté et action. On pourrait en trouver un type dans un des personnages raconté par Stirner : « … un de ces vagabonds intellectuels auxquels le domicile hérité de leurs pères paraît trop étroit et trop pesant pour qu'ils se satisfassent plus longtemps de son espace limité : au lieu de s'en tenir aux bornes d'une pensée modérée et de prendre pour intangible vérité ce qui procure à des millions de gens consolation et tranquillité, ils sautent par dessus les frontières de la tradition et divaguent, extravagants vagabonds, au gré de leur insolente critique et de leur passion effrénée du doute ».

Si l'on veut résumer les vertus de l'égoïste, que dire de lui sinon qu'il est :
Persévérant, sans obstination aveugle.
Conscient de ses forces.
Audacieux, curieux de l'inaccessible (exemple de la lune) et de l'inconcevable (toujours provisoire).
Franc et pourchassant l'hypocrisie, sans renoncer à la ruse.
Lucide et démasquant l'illusion.
Maître de ses pensées et de ses passions (ne pas être possédé).
Généreux, consommant sa vie pleinement.
Goûtant l'humour et la fantaisie (un de ces vagabonds extravagant, un passionné du doute), cultivant l'ironie.
Intéressé, pourchassant le désintérêt, faisant valoir son intérêt dans l'association, l'échange, l'amitié, l'amour réciproques.

Qualités du Juste

On pourrait, sans grand risque d'erreur, considérer que les vertus de l'égoïste s'appliquent également au juste proudhonien. Peut-être faudrait-il ajouter, toutefois, que le Juste s'embarque dans le combat pour la vie, avec un double handicap. D'une part, il est harnaché d'une « faculté judiciaire » dont le développement s'avère difficile. D'autre part, le Moi proudhonien se charge d'une « idée supérieure », celle du devenir social des sociétés ainsi que celle du devenir de l'humanité.

Dans ces conditions, le Juste risque d'être assez largement insatisfait notamment parce que les chances de voir se réaliser son idéal social sont très incertaines. On peut citer par exemple ce que dit Proudhon : « ... en résumé, il est impossible, contradictoire, que dans le système actuel des sociétés le prolétariat arrive au bien-être par l'éducation, ni à l'éducation par le bien-être... car sans compter que le prolétaire, l'homme machine est aussi incapable de supporter l'aisance que l'instruction... la culture de son intelligence, alors même qu'il la pourrait recevoir lui serait inutile »… (56)

Mais cela n'ôte rien aux concordances fondamentales entre le juste et l'égoïste. Tous deux ont une très haute conscience de leur qualité d' « individu-homme »… Même si les fondements intellectuels sont différents, les pratiques du juste et de l'égoïste sont semblables : l'échange réciproque, l'apprentissage au combat pour la vie, l'attrait commun pour s'associer tant pour jouir d'eux-mêmes (l'amitié, l'amour) que par intérêt bien compris…

La même fraîcheur baigne le discours de Stirner sur les premiers pas de l'enfant dans la réalité du monde, et celui de Proudhon : « ... lorsque j'étais enfant… j’aimais me rouler dans les hautes herbes que j'aurais voulu brouter comme mes vaches... j'aimais « … lire et rouler nu dans la rosée… » « ...À peine si je distinguais alors moi du non-moi. Moi, c'était tout ce que je pouvais toucher de la main, atteindre du regard, et qui m'était bon à quelque chose ; non-moi était tout ce qui pouvait nuire ou résister à moi ; l'idée de ma personnalité se confondait dans ma tête avec celle de mon bien-être, et je n'avais garde d'aller chercher là-dessous la substance inétendue et immatérielle... » (56b)

Et il décrit la joie simple, « ... la philosophie de tous ceux qui, retenus par l'âge l'éducation, la langue dans la vie sensitive ne sont pas arrivés à l'abstraction et à l'idéal, deux choses que, selon moi, il est bon d'ajourner le plus possible... »

L'Unique n'est pas resté enfant, il a découvert, adolescent, l'abstrait et l'idéal, mais il ne les a pas placés, pas plus que le « juste », au-dessus du moi, les « absorbant » au contraire pour affirmer, épanouir, « élever » les particularités de son Moi…

L'Unique ne réserve pas le « bien-être », la « jouissance » à l'enfance ; le fait de découvrir ce qu'il y a « derrière les choses » ne le conduit pas à reculer devant cette découverte ni à la considérer comme « supérieure » ou « meilleure »...
Il développe simplement son esprit critique, son savoir sur le monde qui l'entoure, sur lui-même. Il prend conscience de l'intérêt que présente pour lui la compréhension du rapport à ce qui est différent de lui et qui peut ainsi être plus aisément appréhendé ou rejeté, pour son bien-être.

Le « Juste », quant à lui, du fait de la « faculté justicière » qui est en lui et qu'il se doit de développer, doit rechercher l'idéal non seulement pour lui mais pour les autres. Il doit poursuivre, pour l'espèce une voie conduisant à son amélioration.

Lourde tâche, puisque cette faculté justicière naissante, à peine consciente, faite de « religiosité... forme première, idéale, objective , symbolique » de la faculté adulte devra en se développant faire « ...diminuer, s'atrophier » sa forme première qui est religion. (57).

Cette faculté est « spontanée... », elle atteste d'un sentiment supérieur... ; elle est « souveraine » et « pour cela même lente à se former ». (58). Il faut, puisque « ... à ce jour elle est impuissante »... ne pas « ... en négliger la culture »... ne pas la prendre « ... pour une fantaisie de notre imagination »... « II faut encore que nous soyons assurés de son excellence »... « qu'elle nous apparaisse comme le principe, le moyen et la fin de notre destinée »... (59)

L'éducation, la formation de cette « faculté judiciaire » trouve un obstacle de taille dans la société d'injustice dans laquelle Proudhon vit et où nous vivons encore... On sent sa gêne dans ses pétitions de principe – il faut que... – ou dans ses qualificatifs hiérarchisants – excellence, souveraine, supérieure, etc...

Au surplus, s'il écrit que « ... la destinée sociale, le mot de l'énigme humaine se trouve dans l'expression Éducation et Progrès »... la question se pose « ...de savoir si l'intelligence de l'homme et sa liberté, ses facultés d'appréciation et de choix »… « …sa puissance d'action indifféremment applicable au bien et au mal »… « …toutes facultés susceptibles de perfectibilité indéfinie » ...trouveront leur voie. (60)

Nous avons vu plus haut qu'il avait répondu à la question.

Il importe donc, selon lui, de résoudre d'abord les contradictions de l'Économie sociale, ou plutôt de les balancer, pour que « ... le travail, réunissant analyse et synthèse, théorie et expérience en une action continue, par conséquent résumant la réalité et l'idée... se représente comme mode universel d'enseignement... » (61)

Il insiste sur la préalable réforme sociale : « ... le travail étant l'éducation même, l'un l'attire durant toute la vie et l'enseignement devant être simultané, sans commencement ni fin, le commencement étant partout et la fin nulle part, il y a nécessité que les travailleurs soient égaux… » (62).

Proudhon n'est pas dupe quant aux effets de l'enseignement dans la formation du « juste ». « … ne nous leurrons pas sur le nouvel écolage... jusqu'à ce que les races prolétaires généralement viciées dans l'âme et le corps par la misère, l'engourdissement des passions nobles et la somnolence religieuse, se soient renouvelées, n'attendons pas que chez le grand nombre, l'intelligence prenne son équilibre et s'élève au niveau moral… » (63)

Ce n'est pas pour autant qu'il renonce à sa « mission ». « ... seriez-vous de ces gens pour qui l'existence de l'homme n'a qu'une fin ; produire, acquérir et jouir ? Ni l'un ni l'autre... Être homme, nous élever au-dessus des fatalités d'ici-bas... réaliser enfin sur terre le règne de l'esprit, voilà notre fin... je ne parle pas seulement au point de vue de notre perfectionnement individuel ; j'ai surtout dans l'esprit l'amélioration de toute notre espèce... il faut aider cette humanité vicieuse, méchante, comme vous faites pour vos propres enfants... vous vous devez à la réforme de vos semblables… » (64)


En guise de conclusion

Pour se lancer dans le combat par la plume et par l'action politique, Proudhon n'attend pas, bien entendu, que se réalise ce qui pour lui est nécessaire à la naissance du Juste c'est-à-dire la « régénération des esprits », le « renouvellement des générations », une « révolution égalisatrice ».

Pour se faire valoir soi-même et mettre en œuvre toutes ses forces, Stirner n'a pas besoin d'une telle vision idéale de la destinée de l'humanité, du sort des sociétés et de l'espèce. Au contraire, il pense que ce qui a été stimulant peut-être pour Proudhon, risque de fonctionner pour chacun comme un frein, un détournement de la volonté, du Moi, une disparition de ce qui fait sa « personnalité », sa jouissance et de sa capacité d'action. Ceci explique en partie sa farouche opposition aux abstractions, aux concepts, aux idées dont la sacralisation risque de transformer l'Unique en un possédé ou un fanatique.

Ne peut-on pas dire à travers l'histoire de sa vie, que « l'intérêt » qui a conduit Proudhon est un intérêt « unique », « égoïste », même s'il s’en défend et qu'il ne renonce pas à l'idée sacrée d'un intérêt qui serait plus élevé que le sien propre.

Quant à Stirner, son « Unique » est prêt à mener toutes les batailles nécessaires « pour libérer le monde de maintes servitudes », mais seulement à condition de ne pas perdre de vue que ce combat de libération est seulement fondé sur l'idée que ce monde « devienne la propriété » de l'égoïste. (65)
De même est-il prêt à établir des conventions, des associations, des contrats ou l'équivalence et la réciprocité des intérêts soient garantis dans l'échange : « je te traiterai comme tu me traiteras »... « Je ne ferai rien pour rien » (66)

Le Juste et l'Égoïste se ressemblent. L'Unique de Stirner, l'individu, le « Moi absolu » de Proudhon sont les piliers de leurs échafaudages conceptuels, tous deux sont aussi des « visées », plus que des réalités fixes.

L'un voudrait faciliter la tâche de l'individu en lui créant une structure, une société, un cadre de vie mieux adapté à l'épanouissement de ses aptitudes et de son bien-être. Pour ce faire Proudhon n'aura de cesse de se battre par le journal, le pamphlet, l'essai philosophique, l'appel, la proclamation, la profession de foi, de secouer les esprits, tant ceux du peuple (au moins de son élite) que des pouvoirs en place. Son besoin de convaincre n'a eu aucun répit, nonobstant la pauvreté (même digne), la prison ou les rebuffades de ses propres amis. On ne peut pourtant pas dire qu'il a été « possédé » par cette passion de la Justice au point de s'en oublier lui-même, de se « désintéresser » de son moi, de ne pas en permanence remettre sur le chantier ses propres idées, les bousculer, les peser à l'aune du doute et de la contradiction. Ainsi en a-t-il été en particulier, en ce qui touche à l'éducation de l'individu, aux exigences d'une démopédie.

Stirner, lui, ne s'illusionne pas sur les principes qui peuvent gouverner les sociétés. Parmi ces principes, le « principe de notre éducation » sera en pratique toujours « faux » pour l'individu. Sinon faux, en tout cas, contradictoire, antinomique de ceux qui pourraient conduire à l’épanouissement du « moi ». Au contraire, ce sont des principes de fixité, de généralisation, de normalisation et de hiérarchie même atténuée, qui règlent le fonctionnement des sociétés. Autrement dit tout pouvoir constitué, installé quel que soit le « libéralisme » dont il se fera le chantre, ne pourra que renier, sinon détruire l'esprit de contestation, d'opposition, de révolte qui est la condition première de la naissance et du développement de la personnalité, de la volonté propre, de l'action individuelle.

Mais tous les deux, Proudhon et Stirner, reconnaissent que l'affrontement, le choc, la « guerre », le combat qui résultera de la confrontation des intérêts est non seulement inévitable, mais nécessaire.

Il ne s'agit donc pas d'organiser pour la multitude, restée vicieuse (Proudhon) ou passive, telle la communauté du troupeau, une prison égalitaire, ni de convaincre les forts de renoncer à leur force, ni de conduire les faibles, par l'éducation notamment, à les remplacer.
Ce que je veux, dit Proudhon, c'est faire disparaître le prolétariat pour lequel je me bats sans illusion sur sa capacité, même si l'organisation sociale que j'imagine, ma démocratie anarchiste, mutualiste, fédéraliste peut se confondre avec la démopédie, l'éducation du peuple, et permettre de le « renouveler » à long terme. Sans exclure, ajoute-t-il, un « raccroc » révolutionnaire.

Pour Stirner, le « raccroc » révolutionnaire, la prise du pouvoir par un nouveau maître ne peut avoir que les mêmes conséquences étouffantes, pesantes, statiques, mortifères pour l'individu.

La conséquence n'est pas la passivité ou le renoncement à l'action individuelle ou collective. Au contraire, le stimulant du « vouloir » et de l'« agir » n'est que dans la conscience que j'ai de ma force et de mon pouvoir, la maîtrise que j'ai des idées que j'ai subjuguées avant qu'elles ne m'animent, la connaissance des moyens de développer moi-même cette force et cette capacité, enfin de l'« intérêt » que j'y trouve.

Cette autoformation, cette autocréation du moi est permanente.

À mon goût, à mon plaisir, je consomme le savoir pour l'utiliser en volonté, en force et en action. Je l'« épouse » dit Montaigne.
… « Il n'y a tel que d'allécher l'appétit et l'affection ; autrement on ne fait que des ânes chargés de livres. On leur donne, à coups de fouet en garde leur pochette pleine de science, laquelle, pour bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soi, il la faut épouser »… (67)

Le parcours éducatif n'est pas ni pour Stirner, ni pour Proudhon, limité à l'école. Le travail, la vie de chacun sont sources de savoir et d'apprentissage, de volonté et d'action. « À l'apprentissage du bien juger, du bien parler, disait Montaigne, tout ce qui se présente à nos yeux sert de livre suffisant ». (68)

On ne peut pourtant pas faire le bonheur (l'éducation) des gens sans eux, dirait Proudhon, pour s'en désespérer souvent. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ajouterait Stirner.
Proudhon propose au peuple (ou à son élite) (voir le livre de La Capacité des classes ouvrières), le remède qui devrait lui permettre, démopédie aidant, de trouver le bonheur.

Stirner tente d'allécher le « Moi » indescriptible, ineffable, inexprimable et pourtant particulier, égoïste, unique et personnel, par son chant :
Pourquoi j'écris, dit l'Unique ? « Je vois les hommes terrorisés par l'essaim de spectres de la plus sombre superstition. Si je fais au mieux de mes forces tomber un peu de lumière du jour, sur ces nocturnes esprits, croyez-vous que ce soit l'amour que j'ai pour vous qui m'y pousse ? écrirai-je par amour pour les hommes ? Non. J'écris parce que je veux mettre au monde mes pensées et leur y donner vie et si je prévoyais qu'elles vous feraient perdre votre repos et votre paix... je ne les en sèmerais pas moins.

Faites-en ce que vous voulez, c'est votre affaire. Mais non seulement ce n'est pas par amour pour vous, mais pas même par amour de la vérité que je dis ce que je pense, non :

« Je chante comme chante l'oiseau
Qui peuple les branchages
Le chant qui sort de sa gorge
Lui est suffisante récompense.
Je chante parce que je suis chanteur.
Et je me sers de vous parce que j'ai besoin d'oreilles pour m'écouter. » (69)

Paris, novembre 1994
Jacques Bouché Mulet

Notes et Références des Ouvrages cités

note 1 Le monde diplomatique, octobre 1994.
note 2 De La Justice dans la Révolution et dans l'Église de P.J. Proudhon, Fayard, Corpus, Paris, 1988, p. 408.
note 3 Le Monde, 12.7.1994.
note 4 Cinq mémoires sur l'instruction publique de Condorcet. Édition G.F. Flammarion, Paris, 1994, p. 211.
note 5 Cinq mémoires, Op. cité, p. 333.
note 6 L'Unique et sa Propriété et autres écrites de Max Stirner, L'Âge d'homme, Lausanne, 1972, p. 29.
note 6bis :Ce « personnalisme » est l’antithèse du personnalisme chrétien de Mounier.
note 7 L'Unique et sa Propriété et autres écrits de Max Stirner, L'Âge d'homme, Lausanne, Op. cit., p. 43.
note 8 De La Justice ..., Op. cité, p. 234.
note 9 L'Unique et..., Op. cité, p. 29.
note 10 De La Justice, Op. cité, p. 1311.
note 11 De La Justice, Op. cité, p. 1161.
note 12 L'Unique et..., Op. cité, p. 105.
note 13 L'Unique et..., Op. cité, p. 109.
note 14 L'Unique et..., Op. cité, p. 109.
note 15 L'Unique et..., Op. cité, p. 109.
note 16 L'Unique et..., Op. cité, p. 119.
note 17 De La Justice, Op. cité, p. 181.
note 18 L'Unique et..., Op. cité, p. 143.
note 19 L'Unique et..., Op. cité, p. 139.
note 20 L'Unique et…, Op. cité, p. 146.
note 21 Carnets de P.J. Proudhon, Edition Marcel Rivière, Paris, Vol. 3, p. 45.
note 22 De La Justice, Op. cité, p. 264.
note 23 De La Justice, Op. cité, p. 270.
note 24 Carnets de, Op. cité, Vol. 3, p. 236.
note 25 L'Unique et..., Op. cité, p. 312.
note 26 L'Unique et…, Op. cité, p. 377.
note 27 L'Unique et…, Op. cité, p. 180.
note 28 L'Unique et…, Op. cité, p. 181.
note 29 De La Justice, Op. cité, p. 596.
note 30 L'Unique et…, Op. cité, p. 90.
note 31 L'Unique et…, Op. cité, p. 86.
note 32 De La Justice, Op. cité, p. 367.
note 33 L'Unique et…, Op. cité, p. 20.
note 34 Les Confessions d'un Révolutionnaire de Proudhon, Garnier, Paris, 1851, 3e édition, p. 361.
note 35 L'Unique et…, Op. cité, p. 390.
note 36 Correspondance de P.J. Proudhon, A. Lacroix, Paris, 1875, Tome 11, p. 141.
note 37 L'Unique et…, Op. cité, p. 43.
note 39 Les Temps Modernes, n° 499, avril 1987, p. 123.
Henri Michaux, Poteaux d'angle, Gallimard, Paris, 1981.
note 40 L'Unique et…, Op. cité, p. 367.
note 41 L'Unique et…, Op. cité, p. 371.
note 42 L'Unique et…, Op. cité, p. 377.
note 43 L'Unique et..., Op. cité, p. 384.
note 44 L'Unique et..., Op. cité, p. 390.
note 45 L'Unique et..., Op. cité, p. 299.
note 45b De la création de l'Ordre dans l'Humanité de Proudhon, Marcel Rivière, Paris, 1927, p. 411.
note 46 De la Justice, Op. cité, p. 1458.
note 47 De la Justice, Op. cité, p. 1601.
note 48 La Guerre et la Paix de P.J. Proudhon, A. Lacroix, Paris, Bruxelles, 1969, p 229.
note 49 La Guerre et la Paix, Op. cité, p. 234.
note 50 Carnets, Op. cité, Vol. 4, p. 69.
note 51 Carnets, Op. cité, Vol. 4, p. 69.
note 52 L'Unique et..., Op. cité, p. 115.
note 53 L'Unique et…, Op. cité, p. 116.
note 54 L'Unique et..., Op. cité, p. 218.
note 55 L'Unique et…, Op. cité, p. 219.
note 55b L'Unique et…, Op. cité, p. 219.
note 56 Les Contradictions économiques de P.J. Proudhon, F.A., Groupe Fresnes Antony, 1983, Tome 1, p. 132.
note 56b De La Justice, Op. cité, p. 891.
note 57 De La Justice, Op. cité, p. 1379.
note 58 De La Justice, Op. cité, p. 286.
note 59 De La Justice, Op. cité, p. 165.
note 60 Les Contradictions Économiques, Op. cité, Tome 2, p. 29.
note 61 Les Contradictions Économiques, Op. cité, Tome 1, p. 140.
note 62 Carnets, Op. cité, Vol. 1, p. 211.
note 63 De La Création de l'Ordre, Op. cité, p. 410.
note 64 Correspondance, Op. cité, Tome 13, p. 217.
note 65 L'Unique et..., Op. cité, p. 342.
note 66 L'Unique et..., Op. cité, p. 346.
note 67 Montaigne, Les Essais, Garnier frères, Paris, 1958, livre I, p. 192.
note 68 Les Essais, Op. cité, Livre 1, p. 163.
note 69 L'Unique et..., Op. cité, pp. 333-334.

vendredi 4 avril 2008

Georges Orwell à propos du sport

L'esprit sportif

Maintenant que l'équipe de football du Dynamo est rentrée dans son pays, il est enfin possible de déclarer publiquement ce que beaucoup de gens raisonnables déclaraient en privé avant même son arrivée (1).
A savoir que le sport est une source inépuisable d'animosité et que si une telle visite avait eu un effet quelconque sur les relations anglo-soviétiques, ce ne pouvait être que de les rendre un peu plus mauvaises.
La presse elle-même n'a pu dissimuler le fait qu'au moins deux des quatre matchs disputés avaient suscité beaucoup d'animosité. Au cours du match contre Arsenal, d'après ce que m'a dit un spectateur, deux joueurs, un Britannique et un Russe, en sont venus aux mains et la foule a hué l'arbitre. On m'a également rapporté que le match de Glasgow n'avait été, du
début à la fin qu'une mêlée. Et il y a eu aussi cette controverse typique de notre époque de nationalisme, sur la composition de l'équipe d'Arsenal. Était-ce vraiment une équipe
nationale comme l'affirmaient les Russes, ou simplement un club de championnat, comme le soutenaient les Britanniques ? Et est-il vrai que l'équipe du Dynamo a brusquement interrompu sa tournée pour éviter de rencontrer une véritable formation nationale ? Comme d'habitude, chacun répond à ces questions en fonction de ses préférences politiques. Il y a cependant des exceptions. J'ai remarqué avec intérêt, comme une parfaite illustration des passions malsaines suscitées par le football, que le correspondant sportif du russophile News Chronicle avait adopté une ligne antirusse et soutenu qu'Arsenal n'était pas une formation nationale. I1 est certain que cette controverse se prolongera des années durant dans les notes en bas de pages des livres d'histoire. En attendant, le résultat de la tournée du Dynamo, si l’on peut parler de résultat, aura été de créer de part et d'autre un regain d'animosité.
Et comment pouvait-il en être autrement ? Je suis toujours stupéfait d'entendre des gens déclarer que le sport favorise l'amitié entre les peuples, et que si seulement les gens ordinaires du monde entier pouvaient se rencontrer sur les terrains de football ou du cricket, ils perdraient toute envie de s'affronter sur les champs de batailIe. Même si plusieurs exemples concrets (tels que les jeux olympiques de 1936) ne démontraient pas que les rencontres sportives internationales sont l'occasion d'orgies de haine, cette conclusion pourrait être aisément déduite de quelques principes généraux.
Presque tous les sports pratiqués à notre époque sont des sports de compétition. On joue pour gagner, et le jeu n'a guère de sens si l'on ne fait pas tout son possible pour l'emporter. Sur la pelouse du village, où l'on forme les équipes et où aucun sentiment de patriotisme local n'entre en jeu, il est possible de jouer simplement pour s'amuser et prendre de l'exercice : mais dès que le prestige est en jeu, dès qu'on commence à craindre de se couvrir de honte soi-même, son équipe, et tout ce qu'elle représente si l'on est perdant, l'agressivité la plus primitive prend le dessus. Quiconque a participé ne serait-ce qu'à un match de football à l'école le sait bien. Au niveau international le sport est ouvertement un simulacre de guerre. Cependant ce qui est très révélateur, ce n'est pas tant le comportement des joueurs que celui des spectateurs ; et, derrière ceux-ci, des peuples qui se mettent en furie à l'occasion de ces absurdes affrontements et croient sérieusement - du moins l'espace d’un moment - que courir, sauter et taper dans un ballon sont des activités où s'illustrent les vertus nationales.
Même un jeu exigeant peu d'efforts comme le cricket, qui demande plus d'habileté que de force, peut engendrer une grande hostilité, comme on l'a vu à l'occasion de la polémique sur le body-line bowling (2). et sur le jeu brutal de l'équipe d'Australie lors de sa tournée en Angleterre, en 1921. Mais c'est bien pire encore lorsqu'il s'agit de football : dans ce sport, chacun prend des coups et chaque nation possède un style de jeu qui lui est propre et qui parait toujours déloyal aux étrangers. Le pire de tous les sports est la boxe : un combat entre un boxeur blanc et son adversaire noir devant un public mixte est un des spectacle les plus répugnants qui soient au monde. Mais le public de matchs de boxe est toujours répugnant, et le comportement de femmes, en particulier, est tel qu'à ma connaissance l'armée ne leur permet pas d'assister aux rencontres qu'elle organise. En tout cas, il y a deux ou trois ans, à l'occasion d'un tournoi de boxe auquel participaient la Home Guard et l'armée régulière on m'avait posté à la porte de la salle avec la consigne de ne pas laisser entrer les femmes.
En Angleterre, l'obsession du sport fait des ravages, mais des passions plus féroces encore se déchaînent dans des pays plus jeunes où le sport et le nationalisme sont eux-mêmes des phénomènes récents. Dans des pays comme l'Inde ou la Birmanie de solides cordons de police doivent être mis en place, lors des matchs de football, pour empêcher la foule d'envahir le terrain. En Birmanie, j'ai vu les supporters d'une des équipes déborder la police et mettre le gardien de but de l'équipe adverse hors de combat à un moment critique. Le premier grand match de football disputé en Espagne il y a une quinzaine d'années a été l'occasion d'une émeute impossible à maitriser. Dès lors que l'on suscite un violent sentiment de rivalité, l'idée même de jouer selon les règles devient caduque. Les gens veulent voir un des adversaires
porté en triomphe et l'autre humilié, et ils oublient qu'une victoire obtenue en trichant ou parce que la foule est intervenue n'a aucun sens. Même lorsque les spectateurs n'interviennent pas physiquement, ils tentent au moins d'influencer le jeu en acclamant leur camp et en déstabilisant les joueurs adverses par des huées et des insultes. A un certain niveau, le sport n'a plus rien à voir avec le fair-play. Il met en jeu la haine, la jalousie, la forfanterie, le mépris de toutes les règles et le plaisir sadique que procure le spectacle de la violence : en d'autres termes, ce n'est plus qu'une guerre sans coups de feu.
Au lieu de disserter sur la rivalité saine et loyale des terrains de football et sur la contribution remarquable des Jeux olympiques à l'amitié entre les peuples, il faudrait plutôt se demander comment et pourquoi ce culte moderne du sport est apparu. La plupart des sports que nous pratiquons aujourd'hui sont d'origine ancienne, mais il ne semble pas que le sport ait été pris très au sérieux entre l'époque romaine et le XIX siècle. Même dans les public school britanniques, le culte du sport ne s'est implanté qu'a la fin du siècle dernier. Le Dr Arnold, généralement considéré comme le fondateur de la public school moderne, tenait le sport pour une perte de temps pure et simple' Par la suite, le sport est devenu, notamment en Angleterre et aux États-Unis, une activité drainant d'importants capitaux, pouvant attirer des foules immenses et éveiller des passions brutales, et le virus s'est propagé d'un pays à l'autre. Ce sont les sports les plus violemment combatifs, le football et la boxe, qui se sont le plus largement répandus. Il ne fait aucun doute que ce phénomène est lié à la montée du nationalisme - c'est-à-dire à cette folie moderne qui consiste à s'identifier à de vastes entités de pouvoir et à considérer toutes choses en termes de prestige compétitif. En outre, le sport organisé a plus de chances de prospérer dans les communautés urbaines où l'individu moyen mène une existence sédentaire, ou du moins confinée, et a peu d'occasions de s'accomplir dans son activité. Dans une communauté rurale, un garçon ou un jeune homme dépense son surplus d'énergie en marchant, en nageant, en lançant des boules de neige, en grimpant aux arbres, en montant à cheval et en pratiquant des sports où c'est envers les animaux qu'on se montre cruel, tels que la pêche, les combats de coqs et la chasse des rats au furet. Dans une grande ville, il faut participer à des activités de groupe si l'on recherche un exutoire à sa force physique ou à ses instincts sadiques. L'importance qu'on attache au sport à Londres et à New York évoque celle qu'on lui accordait à Rome et à Byzance, au Moyen Age en revanche, sa pratique, qui s'accompagnait sans doute d'une grande brutalité physique, n'avait rien à voir avec la politique et ne déclenchait pas de haines collectives.
Si l'on souhaitait enrichir le vaste fonds d'animosité qui existe aujourd'hui dans le monde, on pourrait difficilement faire mieux que d'orgarniser une série de matchs de football entre juifs et Arabes, Allemands et Tchèques, Indiens et Britanniques, Russes et Polonais, Italiens et Yougoslaves, en réunissant chaque fois un public de cent mille spectateurs, composé de supporters des deux camps. Bien entendu, je ne veux pas dire par là que le sport soit l'une des causes principales des rivalités internationales ; je pense que le sport à grande échelle n'est lui-même qu'un effet parmi d'autres des causes qui ont engendré le nationalisme. Cependant il est certain qu'on n'arrange rien en envoyant une équipe de onze hommes, étiquetés comme champions nationaux, combattre une équipe rivale, et en accréditant l'idée que la nation vaincue, quelle qu'elle soit, « perdra la face ».
J'espère donc que nous ne donnerons pas suite à cette visite du Dynamo et que nous n'enverrons pas d'équipe britannique en URSS. Si l'on ne peut faire autrement, envoyons une équipe de second ordre qui ait toutes les chances d'être battue et qui ne puisse prétendre représenter toute la Grande-Bretagne. Il y a déjà bien assez de causes réelles de conflits sans qu'il soit nécessaire d'en créer de nouvelles en encourageant des jeunes gens à se flanquer des coups de pied dans les tibias sous les clameurs de spectateurs en furie.


La Tribune, 14 décembre 1945




.(1)-Le Dynamo de Moscou, équipe de football russe, a effectué en 1945 une tournée en Grande-Bretagne et rencontré les principaux clubs de football britanniques)
(2)-Pratique (aujourd'hui interdite) consistant à lancer la balle d'une manière dangereuse pour le gardien de guichet. ( N.D.T.)

vendredi 21 mars 2008

Dignité et Commerce (Elisée Reclus)

Elysée Reclus s’exprime ainsi dans son ouvrage « L’Homme et la Terre » tome 6 pages 360 et suivantes :

… l’évolution du commerce depuis les premiers ages nous montre de singuliers contrastes. Il commence par être honni : ce fut une honte de trafiquer, et maintenant c’est la gloire par excellence….
… le principe du commerce étant par sa nature même, égoïste,personnel, insoucieux de tout intérêt étranger,…il en résulte que, de nos jours encore, l’opinion publique et les lois officielles respectent le malheureux qui cherche dans le crime, dans l’avilissement systématique d’autrui, les éléments de sa fortune…
… c’est principalement quand il s’agit de races dites « inférieures » que le commerce se gène peu pour procéder à de fructueuses tueries….
…Non seulement le commerce, dans la pratique ordinaire, est mensonge et fraude, mais aussi, par l’ignoble réclame, le commerce est inutilité, obsession et laideur….
… Actuellement, dans chaque pays, le chiffre des transactions commerciales est pris comme étalon de la prospérité. Le point de vue contraire serait plus logique : mieux le sol est utilisé par les habitants, moins devient la necessité de faire voyager les denrées….
…Au lieu de considérer le commerce comme un fétiche, il y a lieu, pour chaque groupe humain, d’étudier quelle serait la meilleure application des forces naturelles dont il dispose et de sa propre activité, puis de les répartir avec sagacité entre l’agriculture, l’industrie et le commerce…

dimanche 27 janvier 2008

ACTUEL MARX

LA MORALE DE KARL MARX


Guerre de 1870 :

Chargé par l’Association Internationale des Travailleurs de rédiger et de diffuser un Manifeste contre la Guerre , destiné aux classes ouvrières de France, d’Allemagne, d’Angleterre et des Etats Unis,
Marx, le 20 juillet 1870 écrit à Engels (1):

« ..Je t’envoie « Le Réveil » ; tu y verras l’article du vieux Delescluse ; c’est du plus pur chauvinisme. La France est le seul pays de l’Idée….. ( c’est à dire de l’idée qu’elle se fait d’elle même…) . Les français ont besoin d’être rossés. Si les Prussiens sont victorieux, la centralisation du pouvoir de l’Etat sera utile à la centralisation de la classe ouvrière allemande. La prépondérance allemande, en outre, transportera le centre de gravité du mouvement ouvrier européen de France en Allemagne.. »

Marx ajoute :
« ..La prépondérance, sur le théâtre du Monde du prolétariat allemand sur le prolétariat français serait en même temps la prépondérance de notre théorie sur celle de Proudhon. »

Le « réalisme » des deux compères s’accorde bien , la fin justifiant les moyens, au souhait qu’ils font de la victoire de Bismarck. Engels réplique à Marx le 31 juillet (2) :

« Ma confiance dans la force militaire croit chaque jour. C’est nous qui avons gagné la première bataille sérieuse…il serait absurde de faire de l’ anti- Bismarckisme notre seul principe directeur. Bismarck, en ce moment, comme en 1866, travaille pour nous, à sa façon… »

Auparavant, le 27 juillet 1869, (3) Marx, craignant que Bakounine ne le supplante dans la direction du Mouvement ouvrier international, écrit à Engels :
« Ce russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du Mouvement ouvrier européen. Qu’il prenne garde à lui. Sinon, il sera officiellement excommunié. »

Et Engels lui répond : « Si ce maudit russe cherche réellement à se placer, il est grand temps de le mettre hors d’état de nuire. »


PROUDHON ET MARX

Proudhon était mort cinq années plus tôt, en 1865. Mais ses idées et sa morale (il l’appelait sa Justice) inspiraient l’idéal et l’action du mouvement ouvrier , en France et au delà. Marx ne pouvait le supporter. Vingt années plis tôt, Marx avait tenté de circonvenir Proudhon en lui proposant d’être « son » correspondant français dans l’organisation internationale des travailleurs dont il se considérait comme le chef. Dans un post-scriptum, Marx mettait déjà en lumière sa morale. .En concurrence avec un groupe de penseurs allemands
réfugiés à Paris, il n’hésitait pas à faire dans la délation .

Il écrit (4): :
« Je vous dénonce ici Monsieur Grun à Paris. Cet homme n’est qu’un chevalier d’industrie littéraire, une espèce de charlatan qui voudrait faire le commerce d’idées modernes. Il tache de cacher son ignorance sous des phrases pompeuses et arrogantes mais il n’est parvenu qu’à se rendre ridicule par son galimatias . De plus cet homme est dangereux ; Il abuse de la connaissance qu’il a établie avec des auteurs de renom grâce à son impertinence, pour s’en faire un piédestal et les compromettre ainsi vis à vis du public allemand. Dans son livre sur les socialistes français, il ose s’appeler le professeur de Proudhon et prétend lui avoir dévoilé les axiomes importants de la science allemande, et blague sur ses écrits. Gardez vous de ce parasite. Peut être vous parlerais je plus tard de cet individu. ».


La réponse de Proudhon sur ce point, devant le comportement de dénonciateur calomnieux de Marx, est pleine d’ironie doucereuse sous laquelle se cache une sévère leçon de morale.
Il écrit : (5)
« je regrette sincèrement les petites divisions, qui, à ce qu’il paraît existent déjà dans le socialisme allemand, et dont vos plaintes contre Monsieur Grun m’offrent la preuve. Je crains bien que vous ayez vu cet écrivain sous un jour faux. J’en appelle, mon cher monsieur Marx, à votre sens rassis……….Ce que je sais et que j’estime…, c’est que je dois à Monsieur Grun ainsi qu’à mon ami Ewerbeck la connaissance que j’ai de vos écrits, mon cher monsieur Marx… Enfin Grunb et Ewerbeck travaillent à entretenir le feu sacré chez les allemands qui résident à Paris, et la déférence qu’ont pour ces Messieurs, les ouvriers qui les consultent me semble un sur garant de la droiture de leurs intentions. Je vous verrais, avec plaisir, mon cher monsieur Marx, revenir d’un jugement produit par un instant d’irritation ; car vous étiez en colère lorsque vous m’avez écrit.
Grun m’a témoigné le désir de traduire mon livre actuel ; j’ai compris que cette traduction, précédant tout autre, lui procurerait quelque secours ; je vous serais donc obligé, ainsi qu’à vos amis, non pas pour moi mais pour lui, de lui prêter assistance dans cette occasion, en contribuant à la vente d’un écrit qui pourrait sans doute, avec votre secours, lui donner plus de profit qu’à moi. Si vous vouliez me donner l’assurance de votre concours, mon cher monsieur Marx, j’enverrais incessamment mes épreuves à monsieur Grun, et je crois, nonobstant vos griefs personnels, dont je ne veux pas me constituer le juge, que cette conduite nous ferait honneur à tous…. »

Mais avant de donner cette leçon de morale à Marx, Proudhon avait souligné l’outrecuidance qu’il y avait de la part de Marx à fixer, sous son contrôle, les éléments d’une « Economie socialiste » encore balbutiante. Il écrit en réponse à Marx, dans cette même lettre du 17 mai 1846 :

« …D’abord, quoique mes idées en fait d’organisation et de réalisation soient en ce moment, tout à fait arrêtées, au moins pour ce qui regarde les principes, je crois qu’il est de mon devoir, qu’il est du devoir de tout socialiste, de conserver pour quelque temps encore la forme antique où dubitative. En un mot, je fais profession, avec le public d’un anti- dogmatisme économique presque absolu.. Cherchons ensemble, si vous voulez, les lois de la Société, le mode dont ces lois se réalisent, le progrès suivant lequel nous parvenons à les découvrir ; mais, pour Dieu, après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons pas, à notre tour, à endoctriner le peuple. Ne tombons pas dans la contradiction de votre compatriote Martin Luther, qui après avoir renversé la théologie catholique, se mit aussitôt, à grands renforts d’excommunications et d’anathèmes à fonder une théologie protestante. Depuis trois siècles l’Allemagne n’est occupée que de détruire le replâtrage de M Luther ; Ne taillons pas au genre humain une nouvelle besogne par de nouveaux gâchis….Faisons nous une bonne et loyale polémique ; donnons au Monde l’exemple d’une tolérance savante et prévoyante, mais parce que nous sommes à la tête du mouvement, ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle religion ; cette religion fut elle la religion de la logique, la religion de la raison. Accueillons, encourageons toutes les protestations ; flétrissons toutes les exclusions, tous les mysticismes ; ne regardons jamais une question comme épuisée, et quand nous aurons usé jusqu’à notre dernier argument, recommençons s’il faut, avec plaisir dans votre association, sinon, Non……. »



Commentaire :

Si j’ai choisi de revenir sur cet échange entre deux « pères fondateurs », l’un du Socialisme autoritaire, l’autre du Socialisme libertaire et plus exactement de l’Anarchie et du Fédéralisme anarchiste , c’est que cette correspondance illustre l’opposition radicale qui existe entre les deux visions d’une Société plus juste, d’une morale servant de fondement à l’action , d’une philosophie du Pouvoir et de l’Individu.
Certes, il s’agit aussi d’une rivalité entre deux hommes à forte personnalité, conscients de leur influence dans le Mouvement ouvrier de l’époque, mais , même si la forme des deux lettres échangées est « diplomatique », il ne peut y avoir de « compromis », de « petits arrangements » sur le fond.

Et la controverse engagée alors est toujours aujourd’hui, illustrée par 150 années d’Histoire, au centre des réflexions sur ce que pourrait être une organisation de la Société et de l’Economie sortant du Capitalisme oppressif des organisations gigantesques des Multinationale de la finance , de la production et du commerce et mettant hors d’état de nuire les oligarchies militaro étatiques à leur service , qui imposent aux populations du Monde comme une fatalité irréversible leur loi de la jungle .


Quelles oppositions radicales peut on déceler dans ces deux missives, oppositions toujours actuelles.


1 Faire nombre.

Marx propose à Proudhon d’être son « correspondant » sans expliciter aucun des éléments de sa vision du Socialisme, comme si l’affaire allait de soi. Il ne semble préoccupé que de l’aspect « recrutement » pour la diffusion de ses idées, l’ « endoctrinement », et l’accroissement du nombre d’adhérents à son Association.

Proudhon lui répond qu’avant de se lancer dans la propagande et la recherche d’adhérents, il faut un sérieux travail de préparation quant à ce qu’on entend par « Socialisme » ; Dans ce but toutes les propositions doivent être acceptées, passées au crible de la critique , y compris dans le cadre d’une « polémique franche et loyale »

Ce souci de faire du chiffre, de jouer les sergents recruteurs sans se préoccuper de pédagogie, de faire nombre en jouant sur « l’autorité d’entraînement » et le mimétisme communautaire est évidemment à l’opposé des valeurs de l’Anarchie proudhonienne, pour laquelle l’individu , être social engagé dans les relations solidaires de production et d’échange dans la collectivité, (la force collective) est prééminent.

2 Le Dogmatisme

Ce souci de Proudhon de ne pas se lancer à l’aveugle dans une aventure de type religieux, de ne pas vouloir imposer un nouveau « dogme » en lieu et place du dogme de la « féodalité industrielle et mercantile » , alors que ni lui ni Marx ne peuvent prétendre détenir la vérité en ce domaine comme en tout autre, confirme le respect qu’il porte à l’individu en tant que tel. Nous n’allons pas faire de petits soldats. Nous n’allons pas jouer les porte drapeaux d’une nouvelle religion. L’exemple de Luther est éclairant. Après avoir soulevé les paysans allemands contre leurs oppresseurs féodaux en promettant la liberté « protestante » contre la « servitude catholique », Luther , soucieux de rester du coté de la hiérarchie sociale et des privilèges du pouvoir, les fit massacrer..


Qui, encore aujourd’hui, après Marx, Lénine, Staline (le « petit père du peuple » a toujours son culte en Russie capitaliste) , Trotski, Mao et consorts pourrait nier que Marx n’ a malheureusement fait que donner naissance à une véritable religion, avec tous ses attributs : catéchisme, ligne politique, dénonciations, excommunications, élimination des opposants « hérétiques », confessions publiques de ses péchés avant la mise à mort..


Et, suprême « attentat contre le cerveau » , dirait Blanqui, ce dogme marxiste a porté le drapeau de la logique , de la raison.


Le comportement au quotidien

Quand on lit , dans la lettre de Marx, les propos qu’il tient pour dénoncer son compatriote Grùn réfugié à Paris et en relation avec Proudhon, on est édifié sur la pratique « marxienne » au quotidien dans les relations d’individu à individu. La délation n’est qu’un moyen « réaliste » pour aboutir à ses fins. …
« C’est un dangereux parasite… et pour tenter de provoquer l’orgueil de l’interlocuteur : « …Il se prétend votre professeur.. ; »

De même, Bismarck est notre allié « objectif » pour « écraser ces maudits ouvriers de la Commune de Paris, et ainsi donner toute sa force à notre « dogme » socialiste contre les néfastes influences de la pensée de Proudhon.
Il faut mettre Bakounine « hors d’état de nuire » , lui qui prétend remplacer le « Prophète » du Socialisme , Marx. Et d’abord on prononcera son « excommunication ».

La encore, aujourd’hui, ce comportement indigne, contraire à toute morale humaine, est le lot de ceux qui se réfèrent à Marx et au marxisme. Ceux qui ont fait repentance ( 6 ), après la chute de l’URSS sont les plus actifs en ce domaine . Avides de reconnaissance de la part de leurs nouveaux maîtres et des avantages qui en découlent, ils endossent avec gloriole l’uniforme du renégat compétitif . Quant à ceux qui veulent garder leur foi marxienne et, criant à la trahison de leur prophète, tentent d’ »actualiser » sa morale, ils ont l’excuse d’avoir à rendre des comptes à Satan, puisqu’ils l’ont appelé à l’aide : « Errare humanum est, Perseverare diabolicum ». Mais dans les deux cas leur comportement au quotidien, dans leurs relations avec les autres, est demeuré fidèle à la morale de Marx



Notes :
(1) Edouard Dolléans : « Histoire du Mouvement Ouvrier » Tome 1 page 357
(2) Edouard Dolléans. Opus cité Tome 1 page 358
(3) Edouard Dolléans Opus cité Tome 1 page 359
(4) Pierre Haubtmann « Pierre Joseph Proudhon ». Sa vie et sa Pensée . 1809 – 1849. pages 622, 623 Editeur : Beauchesne Paris
(5) Pierre Haubtmann Opus cité pages 626 627
(6) Spinoza. « l’Ethique » ; La repentance est le redoublement de la faute…

jeudi 17 janvier 2008

Onfray "sans famille"

La tragédie de l’orphelin.

Michel Onfray a perdu sa famille. Dans un courriel adressé le 20 12 2007 à notre mandaté aux relations extérieures, il écrit : « …pour ma part, j’ai fait mon deuil : cette famille a cessé d’être la mienne (et j’ai bien eu tort de le croire un temps)…. »

Est ce une fugue ? le besoin de voir du pays, de méditer sur l’ingratitude familiale ? En tout cas cette tragédie personnelle n’a pas entamé la combativité de l’orphelin. Il y a du « Famille je vous hais » dans son apostrophe vengeresse.

Est ce une saute d’humeur ? une passade, un caprice d’enfant gâté ? Ira t il jusqu’à abandonner l’Anarchie, son nom de famille, ce mot dont il écrit dans son « Abécédaire » qu’il n’existe pas et qui, pourtant lui a servi de sésame pour entrer dans la cour des grands.

Pour l’instant notre orphelin est en colère. Deux pages entières de cris de haine et de ressentiment. Il appelle à la rescousse Brassens et Camus , pauvres victimes, comme lui, de la terreur anarchiste (1). Il s’étrangle de grossièretés : « …vous (anarchistes) vous avez chié dans les bottes de Camus.. »

Le malheureux enfant , égaré par la douleur d’avoir perdu sa famille, s’étrangle de rage et profère de vilains « gros mots ».


Commentaire :

La grossièreté du langage n’a d’égale que celle de la pensée. Non seulement Camus a été et est toujours une référence pour les anarchistes mais il a été , de son vivant, un interlocuteur de nos compagnons du journal « Le Libertaire » . Camus, contrairement à notre orphelin, acceptait la controverse, entrait volontiers dans un débat contradictoire, sans se réfugier dans l’injure. Il admettait de douter de ses propres assertions. L’exemple de la discussion qu’il a eu en 1952 avec notre compagnon Gaston Leval, à propos de certains passages de « L’ Homme révolté » est éclairant.

A propos d’une affirmations contestée par Gastob Leval sur le rapport entre Bakounine et la Science, Camus modifia son texte dans une édition suivante de « L’ Homme révolté ». Au lieu de : « Bakounine a été le seul de son temps à déclarer la guerre à la Science », Camus, approuvant Leval, corrigea ; « Bakounine a été le seul de son temps à critiquer le gouvernement des savants »

On peut lire dans l’édition de La Pléiade le commentaire suivant de Roger Quillot : « …Camus a connu Leval en 1945. Sans doute sa sympathie pour les libertaires espagnols le rapprocha t elle du mouvement libertaire français. Après « L’ Homme révolté », il eut avec Leval des contacts plus fréquents. Tout en formulant des réserves sur le langage, il donna son accord sur Le Manifeste Socialiste Libertaire . C’est lui qui proposa le titre de Mouvement socialiste libertaire plutôt que Mouvement de civilisation libertaire. »

Comme dirait Zo d’Axa, ….Passons


Archibald Zurvan. 10 01 08Note ;

(1) Dans son dernier produit, « La Pensée de Midi », Onfray , dès la première page traite les anarchistes de « .. tenants du dogme anarchiste- frères en cela des bolcheviques. »

Stéphane Courtois sur Radio Libertaire

DE COURTOIS …faisons table rase… (0)
.


1. Les « références » de l’auteur :

Il présente (p. 31,50, 52, 79, 91 ) ses analystes « sérieux » : Furet auteur du « Le Passé d’une illusion », A. Kriegel, A. Besançon, B. Henri Levy, P. Ricoeur, J. Julliard, M Druon, J.F. Revel, ainsi que ses amis journalistes des publications diverses : La Croix, L’ Express, Ouest France, Libération
Au Portugal « Le Livre Noir du Communisme » est préfacé par un ex Mao, (comme Courtois) devenu leader d’un parti de Centre droit. .En Suède, Courtois a eu l’honneur de présenter son livre devant deux anciens premiers ministres. En RDA, un pasteur protestant l’a interrogé sur l’éventuelle complicité des habitants avec le régime. A Berlin, à la présentation du livre il fallut appeler la police, A Dresde, dit Courtois, « nous avons assisté à une confession publique « . Quant à Alexandre Iakovlev, ex membre du Politburo soviétique, il a fait éditer le livre en russe. Dans toute l’Europe de l’Est, la foule et les notables béent d’admiration à la présentation du livre. A Prague la foule s’esclaffe devant un portrait de Lénine, Gotwald et un goret réunis. A Bratislava c’est le ministre de la justice qui applaudit. A Sofia, à Tallin ce sont les présidents de la république. A Sarajevo, c’est le criminel de guerre Izébégovitch. Un couac en Pologne ou un opposant au régime stalinien de Jaruzelski critique l’auteur qui préconise « une épuration civique ». S C regrette cette opposition à une franche épuration. Il écrit : « cette attitude ne contribue guère à mettre fin au pourrissement de la société par le communisme… »
.
Enfin, pour écrire ce livre, il a disposé de « l’aide d’un ami fidèle et érudit, Jean Louis Panné », avec qui il a eu l’honneur de signer en 2003 l’appel du « Figaro » pour s’engager et soutenir la guerre en Irak.

Pourquoi ce nouveau titre, après « Le Livre Noir » ?
Malgré les 200 000 exemplaires vendus en France, les 500 000 en Europe et dans le Monde, il fallait tenter de « fortifier » les ventes.. Il était utile de faire un « rappel d’un désastre… »cette triple amputation créée sur le corps d’une Europe pantelante par le pouvoir communiste en 1917, 1939/45 , 1944/48 et de souligner à nouveau les « effets désastreux sur la civilisation, la conscience et l’unité européenne ».(1)

Une autre raison d’écrire ce titre était le fait que « entre 1980 et 1990 la Gauche ne soutenait le travail d’un Chercheur (en histoire de l’URSS), que dans une visée instrumentale…pour peser tactiquement sur l’allié communiste ».(2).

Troisième réponse à la question : Pourquoi ce livre aujourd’hui seule ment ? Il fallait dit l’auteur « …attendre la mort de l’URSS.. » (3)


2. Quel lien entre la terreur stalinienne e l’idéal communiste ?

« …le Socialisme est la forme achevée du totalitarisme. L’expérience soviétique n’a pas tourné au totalitarisme en dépit de son socialisme mais parce qu’elle était socialiste… »(4)

Et puis , comme l’idéologie nazie de Hitler, le socialisme de Lénine est une « brocante intellectuelle » qui a nourri, écrit Furet « .. tant de fanatismes individuels ».. Je suis le premier ajoute SC à « réévaluer » le communisme. Il précise le sens de cette « réévaluation » en écrivant : « L’ Utopie est reconnue par nombre d’auteurs comme l’un des ressorts essentiels de l’idéologie communiste et l’une des raisons de sa dimension criminelle . » (5)

S C s’en prend , d’une façon plus générale à des traditions « utopiques » russes. Il écrit : « …les Bolcheviks ont hérité du marxisme ce désintérêt complet à l’égard du sort des individus. Mais la tradition russe a elle aussi laissé des traces au travers du nihilisme, du netchaievisme et de l’Anarchie… » (6)
S C énonce qu’à la chute du régime stalinien , il y a eu, en Russie, un « changement de valeurs ».(7)


3 Les Critiques ?

Courtois tente de prévenir la critique. Il écrit : « …on est surpris de voir en France, s’exprimer haut et fort, sans vergogne, une puissante mémoire d’un communisme perçu comme globalement positif.. » et citant B H Levy : « ..le communisme bénéficie de la bonne vieille clause de l’idéologie la plus favorisée » (8)


S C , pour prévenir la contestation de sa thèse, fait un cours de déontologie sur le métier d’historien. Il écrit : « L’histoire implique une démarche scientifique et répond à une logique qui est celle de l’établissement et de la transmission des connaissances selon les règles du métier . » et encore : « avant d’établir un récit historique l’histoire se doit de prendre en considération tous les faits… l’amnésie à géométrie variable est le propre de la mémoire. Mais l’histoire ne peut s’accommoder de ces arrangements de chacun avec soi même . » (9) .

Sur la question de son parcours idéologique , S C fait très clairement son auto critique.. Toutefois il ne veut pas être le seul à assumer son erreur de parcours et il tient, au long de 12 pages, à y impliquer ses anciens amis du PCMLF, de la LCR ou du PCF.. Il précise qu’il était en bonne compagnie, avec une ancienne ministre de la Justice : « ..Pourquoi aucune voix n’a t elle demandé à Madame Lebranchu d’expliquer à quelle forme de raison ou de déraison répondait son engagement de jeunesse … » ? Pour ce qui est de sa « repentance » personnelle ses accents sont vifs et emprunts de religiosité. : « …ma vie ordinaire d’activiste mao spontex fut un engagement au caractère imbécile et dangereux…imbécile , en effet, car quel pouvait être le sens d’une révolution dans un pays démocratique ? »… » dangereux de récupérer des armes »…et d’avoir « à passer des années dans les prisons de la république ».
Questionné par de jeunes allemands de l’Est, « Pourquoi vous êtes vous engagé à l’ extrême gauche après mai 1968 ?. », il écrit : «…réponse difficile à faire à ces gens qui ne comprennent pas pourquoi des jeunes gens normalement intelligents et libres de leurs décisions ont pu, à ce point, prendre des vessies pour des lanternes. »

Cette repentance, ce redoublement de la faute, dirait Spinoza, ne va pas sans une certaine gloriole. Il se compare à Gide, critiqué en 1936, à son retour d’URSS par ses anciens amis, pour son hostilité au régime stalinien. Il est fier de s’être « réinséré dans la Société pour y faire valoir ses talents »
Mais, comme la repentance signifie que l’on se pardonne et qu’on redevient un pur, il est possible de faire l’éloge de « ceux qui abandonneront plus ou moins rapidement l’idéologie, après avoir compris qu’elle était en relation étroite et nécessaire avec la mise en œuvre de la Terreur. »

Il peut donc, désormais épuré, faire « valoir ses talents ». Il écrit, sur le thème de la démocratie : « Qu’est ce qu’une démocratie libertaire qui rejette la culture du suffrage universel .. »? Sur le même sujet il philosophe : « Qui affirmerait qu’il n’y a pas une nature unique de la démocratie, sous prétexte que celle ci prend les formes diverses de république parlementaire, de monarchie constitutionnelle ou du régime présidentiel ? »

Pour S C, cette « démocratie » de rêve risque d’être « dénaturée ». Le danger est représenté par « les survivants au Communisme…regroupés à l’Ouest dans de multiples sectes…ils tentent de faire revivre ce communisme… en engageant la lutte contre la Mondialisation. ». De même ces « survivants » osent s’en prendre au « respect de.la personne humaine et de la propriété privée, son corollaire incontournable. »
Ainsi qu’il souhaitait en Pologne, une « épuration », S C s’oppose à une amnésie, une amnistie des crimes communistes. Il écrit : « si une amnésie, une amnistie rampante sont des expédients commodes dans l’immédiat, elles ne permettront pas, à terme, d’accéder à la pacification des esprits. ». Il est dommage qu’un Nuremberg du Communisme soit « techniquement impossible », dit il.

Toujours dans le domaine de l’analyse philosophique et sociale, S C interprète à sa façon la citation suivante d’Antoine Vitez : « Ce qui s’accomplit aujourd’hui est la fin du socialisme autoritaire ». S C , en effet, traduit : « Antoine Vitez est lucide sur la mort du communisme, système et idées ».


CONCLUSION

S C conclut modestement par un éloge de l’honneur et de la lucidité, éloge dont il ne semble pas se mettre à l’écart. Il écrit : » Tous les hommes qui ont été communistes ne persistent pas dans l’aveuglement et le déshonneur ». Il souligne que c’est son livre qui ouvre le grand procès du communisme, ajoute, que contrairement au vers de l’Internationale, « on ne peut pas, du passé, faire table rase »

On peut simplement, en maquillant la complexité de l’Histoire des hommes et des Idées, en choisissant le parti de l’Ordre capitaliste, brandir le drapeau glorieux de la revanche du renégat.

Archibald Zurvan Janvier 2008 (d’après des notes de 2003)


Notes :
(0) Stéphane Courtois, historien, est notamment l’auteur du « Livre Noir du Communisme » et de « Du Passé faisons table rase ». C’est ce dernier texte qui fait l’objet de cette analyse.

(1) il évoque une « unité » illusoire et mise à mal , indépendamment du pouvoir soviétique, par les conflits capitalistes et nationalistes.
Quant à la « conscience » , il serait bon de savoir ce qu’un « Ex Mao » entend par ce concept

(2) S. C parle d’or : il vaut mieux être instrumentalisé par la Droite.

(3) N’ y a t-il pas , dans cette réponse un petit coté « détrousseur de cadavre » ?


(4) S C se réfère pour énoncer ceci à un certain Martin Malia (orthographe incertaine), professeur d’histoire à Berkeley et conservateur convaincu



(5) L’auteur oublie qu’il a lui même épousé la cause des militants communistes adhérant à un projet qui se voulait universel et libérateur. Que cet idéal ait été dévoyé ne retire rien à leurs espoirs généreux et à leurs engagements

(6) l’utopie peut être une chimère et un danger si on l’enferme pour l’imposer dans un système clos signifiant la fin de l’Histoire. Mais elle peut être simplement l’idéal vers lequel tendre ; un mouvement permanent vers une harmonie , une Justice dans la Société.. Quant à écrire que l’Anarchie se désintéresse du sort de l’individu, alors que toutes ses valeurs, toute son histoire , tout son humanisme , placent l’individu au centre de son combat, il faut s’étonner de l’ignorance de l’auteur.. D’ailleurs il pressent la faiblesse de sa thèse et pour se persuader lui même de la justesse de son analyse il fait de Lénine le Dieu communiste tout puissant . On lit : « Puisque c’est Lénine seul qui a défini l’idéal, la doctrine, qui a fondé le parti, le régime et la terreur, quel décalage peut il exister entre idéal communiste et réalité ? »



(7) Oui : du Capitalisme d’Etat on est passé au Capitalisme privé. Avec la même oligarchie à la tête des pouvoirs économiques et politiques. Est ce l’ apparition de « nouvelles valeurs» ?



(8) Plutôt que de préciser quels sont les points de son livre contestés par d’autres historiens, l’auteur pose une affirmation générale . Il y a fort longtemps que le régime soviétique est critiqué par ceux qui sont sensibles à la générosité d’un idéal et à son dévoiement par un dictateur et sa clique. L’arrogance est plutôt du côté de ceux qui ont intérêt à la conservation d’un Ordre injuste qui leur profite et qui pourrait être chamboulé par un soulèvement contre eux.. Ainsi, Claude Imbert , directeur du Point écrivait : « Le livre noir du communisme tombe chez nous à point. A tous ceux qui ne voient , à nouveau, que défauts à notre démocratie libérale, les deux calamités du siècle – la fasciste comme la communiste- montrent que les sorties hors système débouchent volontiers sur des marécages funèbres. » Notons aussi que les défauts de la « démocratie libérale » dont parle C Imbert, ne préoccupent pas SC qui en 1995 critiquait la grève de décembre : «… alors que le pays était paralysé, nombre de français ont approuvé un mouvement provoqué par quelques milliers de roulants de la SNCF bien encadrés par des militants communistes de la CGT. »


(9) Bien que le mot « histoire » figure en lieu et place du mot « historien », est- ce de la part de l’auteur une sorte d’auto- critique. ?
Quant aux « règles du métier » l’auteur reste muet.. Sauf à considérer que l’historien « …n’est pas comptable de l’usage que font les uns et les autres de ses résultats ( de ses recherches)…Il lui importe seulement que ses résultats soient incontestables dans l’établissement des faits et raisonnablement objectifs pour ce qui touche aux interprétations. »

mercredi 2 janvier 2008

L'Anarchie selon M Onfray

L’ANARCHIE ET LES ANARS…

………. SELON ONFRAY

décembre 2007

Au Comité de rédaction du Monde Libertaire

Compagnons,

Y en a marre.
Vous avez certainement lu le numéro de novembre 2007 de la revue « Lire ». ( page 33 "mon abécédaire".ma définition de l’ « Anarchie », et reproduit ci dessous). Le Monde libertaire et Radio libertaire, au travers de leurs responsables et leurs animateurs y sont vilipendés, traînés dans la boue par un « intellectuel » (sic) qui prétend que l’Anarchie n’existe pas, que nous ne sommes même pas des anarchistes puisque nous ne sommes pas des activistes de la « micro révolution » embrigadés sous son drapeau frelaté du soi disant « Socialisme libertaire ».

Traiter ces propos par le mépris n’est pas suffisant . Relayés par les médias du Pouvoir, ils contribuent à renforcer la propagande officielle tentant, depuis des lustres, de montrer l’Anarchie comme une illusion d’utopistes et comme vecteur de désordre et de violence aveugle..

Au sein même de notre fédération et de nos « œuvres », ML, RL, ce matraquage des valeurs de l’Anarchie produit ses effets dommageables. Ainsi le Comité de rédaction du journal est stupidement attaqué pour avoir refusé un papier sur notre soi disant dérive « droitière » (Ah les marxistes !). Ainsi, ce matin on pouvait sur RL entendre un animateur parler de « prise d’otage des usagers » à propos des grèves qui se préparent cette semaine. Quant au secrétariat de RL, il est attaqué par un responsable d’émission, pour prévarication..

Enfin, cerise sur le gâteau, un responsable de groupe de notre fédération donne une interview à une radio aux ordres, chienne de garde du pouvoir (France culture), pour conforter l’auteur de l’entreprise de dénigrement de la FA publiée dans la revue Lire, et regretter (sic) que notre journal, par ses articles venimeux ait « assassiné » l’intellectuel en question..

Ne restons pas indifférents à ces attaques. Pour ma part, en espérant que d’autres compagnons réagiront, je vous envoie le texte joint

Le 8 novembre 2007 Archibald Zurvan : ce texte n'est pas paru au ML


AGRESSION A RADIO LIBERTAIRE et AU MONDE LIBERTAIRE

Rassurez vous , amis et compagnons de route, il ne s’agit que d’une agression verbale. Voici les faits :

A l’occasion de la délivrance du « Master universitaire et populaire d’Anarchie »par le professeur émérite Michel Onfray, les équipes permanentes et les collaborateurs du journal et de la radio ont été recalées. Comble de honte, ces humiliations étaient accompagnées de commentaires venimeux de la part du Président du jury, en l’occurrence le même et distingué professeur Onfray.

On peut lire dans le numéro de novembre de la revue « LIRE » :
« …Il n’y a pas d’Anarchie mais seulement des preuves concrètes d’anarchisme. Dès lors on trouve moins d’anarchistes au Monde Libertaire, à Radio Libertaire ou dans les prisons dans le secteur des terroristes, que sur le terrain, actifs et praticiens. »


Il y avait longtemps que nous n’avions pas été classés, même par nos ennemis de toujours dans le « secteur des terroristes ». Aucun des « intellectuels « à la mode, chiens de garde et cautions de l’Ordre établi, n’avait repris cette belle formule.

Passons sur le fait que , dans un abécédaire personnel, un « philosophe » (sic) qui se charge de définir le mot anarchie, affirme que l’Anarchie ça n’existe pas et que ceux qui oseraient dire le contraire ne sont que des « gardiens du temple, des grands prêtres estampillés… », estampillant lui même son « Université Populaire » comme une « pratique » , une « micro révolution » anarchiste.

POURQUOI TANT DE HAINE ?

Je me suis demandé quelles raisons pouvaient expliquer un tel comportement, alors que quelques uns de nos compagnons lui vouent une admiration béate, séduits qu’ils sont par un « Maître » à penser en perpétuelle effervescence médiatique, étourdissant ses auditoires sous un flot de sentences définitives bien que souvent contradictoires .

Le maître s’épanche quelques fois en leur sein, se considérant comme « assassiné » par les rares critiques de notre radio ou de notre journal. (Voir sur ce point l’interview d’un membre d’un groupe FA sur France Culture)

Une autre raison de ce comportement, à la limite du pathologique pourrait relever, selon moi, du complexe dit de la « dette de reconnaissance ». En effet, si Michel Onfray est aujourd’hui célébré sur tous les « fenèstrons », sur les radios, dans les revues, il le doit en grande partie à Radio Libertaire.

Il y a dix ans , en effet, alors qu’il n’était qu’un débutant en littérature ( il venait de publier « La Politique du Rebelle »), un inconnu, pourrait t on dire, Radio Libertaire l’invitait dans ses studios pour dialoguer avec lui, pour analyser, approuver ou contester le contenu de son livre, le faisant ainsi débuter dans le monde des médias. Cet honneur que nous lui avons fait, cette reconnaissance qu’il nous doit, lui sont devenus , au cours de ces dix années, insupportables. Il y a du « Monsieur Perrichon » la dessous, dirait Courteline. C’est ce qui s’appelle aussi, plus vulgairement cracher dans la soupe.

Y A PLUS d’ ANARCHIE.

Mais puisque pour l’honorable professeur , tel Saint Michel terrassant le dragon de l’Anarchie, cette dernière est hors du sujet, ne poursuivons pas la polémique.

Laissons notre « ami » à ses fréquentations politico médiatiques, laissons le bavarder en toute amitié, mais jouant de la férule, avec les maîtres du Monde. Souhaitons lui de devenir le nouveau gourou du « Socialisme Libertaire » . Qu’il aménage, en rebelle micro révolutionnaire, les multiples « jardins d’Epicure » d’un Capitalisme épuré de sa fièvre libérale, . Qu’il salue respectueusement l’Etat, protecteur des pauvres, qu’il honore cette grande rencontre électorale à la De gaulle entre le peuple et son maître. Qu’il s’agenouille devant le Parti Communiste français pour le supplier de rassembler les « forces de Gauche », qu’il se prosterne devant la sainteté du travail salarié, et la reconnaissance du « père ».
Vaste programme pour le « Socialisme Libertaire » à la sauce odorante de son « Université du Goût ».

Et pourquoi pas un grand parti « micro révolutionnaire », un vrai parti socialiste libertaire, avec un petit père du peuple, qui, si le PC refuse la tâche, pourrait être le beau Michel. Un boulevard s’ouvre devant lui .

NOV 2007 Archibald Zurvan

NOTA la critique de « La Politique du Rebelle, après l’interview de Michel Onfray sur Radio Libertaire.en février 1998 dans l’émission « Chronique Hebdo » peut être lue sur le « blog » ainsi intitulé :

http://archibaldzurvan.blogspot.com/

mardi 1 janvier 2008

ECOLOGIE OU ANARCHIE ?

Au Monde Libertaire (1)

Le 12 décembre 2007,

Compagnons,
Dans le numéro 1494, vous publiez un article appliqué de mathématique appliquée signé Bekaert et qui évoque avec admiration les positions de Pelletier sur l’écologie et la décroissance assimilée par l’auteur de l’article au malthusianisme.

Pour éclairer le lecteur, qui pourrait se demander ce qu’est la position contraire aux affirmations de Pelletier , je vous demande de publier mon article de décembre 2006.

Il sera d’autant plus actuel et en phase avec les positions que nous considérons comme justes, que se tient en ce moment en Indonésie , à Bali, une conférence internationale sur le Climat.

Salut et fraternité.

Archibald Zurvan . Chronique Hebdo
(1) article non publié.




Ecologie ou Anarchie

Depuis plus d’une décennie Il (1) oppose l’écologie à l’anarchie. Selon lui, il faudrait choisir son camp. Ce langage binaire ne présage rien de bon pour l’analyse du phénomène écologique rapporté aux valeurs de l’anarchie, à son mode de pensée et son mode d’action.


Quelques pétards mouillés :
Les Médias :
Dans les deux numéros du ML 1456 et 1457, à propos d’un certain « Catastrophisme » et du « complot » ourdi par les grands prêtres de l’idéologie dominante, l’auteur des deux articles s’en prend à l’écologie telle qu’elle est mise sur la place publique par les médias et notamment par les présentateurs et journaleux de la télévision. Il nous fait découvrir (sic) une nouveauté extraordinaire à savoir que les chaînes de télé sont entièrement sous la dépendance des dominants, Etat et capitalistes ! Cette main mise déconcertante influencerait leur façon de traiter l’actualité ou les sujets de fond ! Ah, bon, nous ne savions pas que les journalistes entonnaient la même chanson que leurs maîtres capitalistes, y compris dans l’exploitation de conceptions écologiques qu’ils pourraient utiliser, soit pour les discréditer soit pour en tirer profit !

Les Entreprises capitalistes :
Il attaque également la récupération capitaliste des thèses écologiques. Ca n’est pas non plus nouveau ! Le phénomène de la récupération des idées ou des projets qui sont susceptibles de dégager du profit est mis en pratique depuis fort longtemps dans tous les domaines de l’activité économique. Peu importe que ces thèses ou ces projets reposent sur des valeurs totalement étrangères au système capitaliste.

Les Politiciens :
Il attaque enfin les politiciens de l’écologie, ce qui, là également, consiste à enfoncer des portes ouvertes. On sait bien que le parti écologique n’a pour objectif que de produire des politiciens et de leur assurer une rente de situation dans un système économique et social capitaliste qu’ils ne contestent pas fondamentalement.

Ces trois attaques contre les médias, les capitalistes soutenus par l’Etat et les politiciens ont selon Lui un dénominateur commun : le catastrophisme, comme si l’utilisation de la peur, comme moyen de domestication n’était pas là encore une pratique utilisée couramment par les trois acteurs cités plus haut : médias, capitalistes et politiciens.

La « Peur » :
Il découvre le « catastrophisme », la mise en scène de la peur comme moteur d’une action capitaliste et politicienne. Quelle surprise ! cette découverte impressionne tellement cet ancien combattant, excité à l’idée de relancer son sujet de diatribe préféré, qu’il ne l’aperçoit qu’à travers l’écologie.

Ce qui est plus grave c’est qu’il impute à certains « militants » anarchistes (sincères, comme il le dit avec beaucoup de commisération) cette forme de pratique manipulatoire. Il s’agit d’une sorte d’accusation envers ceux dont il prétend être le compagnon alors que le catastrophisme est hors de la pensée, de la morale et de l’action anarchiste.


De l’imposture ou du « trompe couillon ».
Pour faire accepter ses thèses, il prend des points d’appui sérieux : d’abord celui du vieux maréchal Pétain et son slogan du retour à la terre ; ensuite et pour faire bonne mesure, les adeptes du fascisme. Pour lui, approuver les thèses écologiques, même si elles sont fondées sur des constats, relève d’une idéologie autoritaire. La dictature écologique n’est pas loin. Une curieuse argumentation qu’il avait formulé en 1993 pour justifier cette comparaison hardie entre écologie et fascisme, ne manque pas de sel: je cite l’auteur : « Non, les écologistes ne se situent pas (complètement) à gauche. Ils se situent réellement, idéologiquement, philosophiquement, en partie historiquement, largement politiquement, en travers, en partie à gauche, à droite et au centre. Qui peut prétendre sérieusement le contraire ? Il n’y a, à ma connaissance, qu’un seul mouvement qui ait eu une telle position, un tel croisement complexe mais réel : le fascisme. » Avec cette expression étrange « de travers » l’auteur prétend justifier l’analogie qu’il fait entre fasciste et écologiste. Que voilà une affirmation présomptueuse : n’est-ce pas parler à tort et à travers !

La Science, la « vraie ».
Tartarin aimerait sans doute chasser l’anarchiste qui défend les thèses écologiques sans approuver le comportement de ceux qui les utilisent à des fins de pouvoirs. Haro sur ceux qui font confiance à une science sans conscience, la majorité des scientifiques considérant le réchauffement de la planète en partie lié à l’activité humaine ! Quand à lui il prend pour argent comptant l’affirmation d’autres mais vrais scientifiques qui estiment eux que le réchauffement de la planète n’est que :
Soit une vue de l’esprit soit un phénomène naturel et fatal.

Le « complot »
Sous prétexte que ceux que nous combattons, mais qui vivent dans le même Monde que nous, font les mêmes constats sur la dégradation de l’environnement, et s’en servent pour élaborer et mettre en place des mécanismes inopérants ou dérisoires (2), et ce dans leur seul intérêt financier, nous serions leurs complices. Puisque nous faisons les mêmes constats, et bien au delà, sans même avoir besoin des statistiques et des rapports de l’ « Ogre » capitaliste (le GIEC), nous ne pouvons être que les dupes d’un vaste « complot » . Trompés et complices, tels sont les malheureux anarchistes (pourtant sincères !)

La Hargne.
Cette agressivité contre ceux qui osent mettre en cause les comportements humains dans la dégradation de la Planète (climat, couche d’ozone, pollutions diverses des éléments, nucléaire …) témoigne, à contrario d’ une acceptation tacite sinon d’une propagande pour les formes actuelles productivistes mondialisées du capitalisme hégémonique. Elle témoigne également de l’acceptation d’une morale réactionnaire apologétique du « travail », et comme dirait ce vieux maréchal : de la famille et de la patrie.

Vive le « Productivisme » !
Le combat pour l’écologie, la décroissance ou toute lutte contre les effets désastreux du modèle économique dominant, serait un désastre pour les démunis, les « masses » dominées et pillées du Monde. Elles seraient privées du droit de bénéficier des avantages de la Société des plus riches ! Notre modèle serait le leur, comme disaient les premiers colonialistes. Peu importe leur culture, leur histoire, leur autonomie perdue, leur capacité d’agir par et pour eux mêmes étouffée. La Société du gaspillage leur ouvrira, s’ils travaillent bien , des horizons radieux. Vive l’efficacité financière mondialisée imposée aux peuples barbares et incultes !

Permanence du galimatias.
On pourrait dire que l’auteur a fait une fixation sur l’écologie puisque depuis de nombreuses années il nous sert la même antienne, il nous abreuve de son galimatias, de son pathos entortillé, de sa logorrhée insipide. C’est par le fait qu’à deux reprises le ML ouvre ses colonnes à un discours sur l’écologie, contestable, confus et pesant que j’ai pris la peine de répondre.
C’en était trop. Soyons également cuistre ! Errare humanum est, perseverare diabolicum.

2 décembre ! 2006 Archibald Zurvan






-1 Philippe Pelletier
-2 L’ex-vice président des USA et futur candidat à la place de Bush, Al Gore édicte dix « commandements » pour lutter contre le réchauffement planétaire. Parmi ces dix commandements, on peut lire : « Changer d’ampoule électrique ». ou encore « Evitez les emballages doubles ». Le onzième commandement « écologique » est le suivant : Si cela ne marche pas : Priez !