Nous disposons, depuis des années d’un spectacle glorificateur de la Charité. Sur tous les journaux, sur toutes les chaines de télévision, sur les affiches publicitaires, les appels à ce qu’on appelle « votre générosité » envahissent nos cerveaux, provoquent nos émotions pour que notre compassion envers les malades ou les pauvres, se traduisent par des dons, à peine de courir le risque de se sentir coupables.
Cette mise en scène régulière des désordres sociaux que constituent l’impossibilité pour nombre d’entre nous de se soigner ou simplement de vivre, est le fait des administrations de l’Etat et des modernes « Bureaux de Bienfaisance ».
Le « Téléthon », le « Sidaction », tous ces appels, mis en spectacle, à la charité publique ont deux objectifs qui sont sans rapport avec celui, officiel, de se préoccuper de soulager la misère. Ces deux objectifs sont, d’une part de faire passer la responsabilité de l’Etat, de la Collectivité publique sur chacun d’entre nous, d’autre part, et dans le prolongement de la manœuvre précédente, en nous culpabilisant, de paralyser le jugement de ceux qui « donnent » et de maintenir l’injustice du statu quo en poussant à la résignation ceux qui reçoivent.
Il n’y a qu’à constater les réactions que cette dénonciation de la charité entraine pour s’effrayer d’avoir à persévérer dans cette critique radicale. Comment des gens sensibles à toutes ces misères peuvent-ils comprendre cette critique de la charité. Nos fondamentaux judéo chrétiens, notre vieille culture religieuse, basées sur la valorisation de la pauvreté, paralysent notre jugement. L’Eternel a dit : Bienheureux les pauvres , les pauvres d’esprit ». La compassion pour le pauvre, la nécessité pour chacun de lui faire la charité est à la fois la certitude qu’elle pourra durer pour permettre au « bienfaiteur » de racheter ses péchés et lui donner bonne conscience. La pauvreté doit perdurer jusqu’à la fin des temps puisqu’elle est le chemin vers le bonheur céleste. Alors, si vous la récusez, y a plus rien, disait une auditrice de Radio Libertaire. Et comment pouvez vous tirer dans les pattes de ceux qui font quelque chose.
Et il est vrai que cette critique de la charité, y compris quand, « bien ordonnée, elle commence par soi même », peut être prise pour une marque de mépris, d’indifférence à l’« autre », à celui qui est la « victime ». Il ne s’agit pourtant pas de refuser de l’aide à celui qui en a besoin. Lorsque je donne à celui qui est dans la détresse de quoi manger, se vêtir, s’abriter, je tente d’éviter d’analyser le sens de cette « bonne action ». Et si j’y repense, si je me sens un peu mal à l’aise après ce « beau » geste, je peux essayer de comprendre ce qu’il signifie, au delà du simple fait que j’ai provisoirement « dépanné un ou plusieurs pauvres. Ce dépannage n’est il pas une façon de ne pas me poser la question de l’origine de cette misère et des raisons pour les quelles la collectivité dont je fais partie a été incapable de trouver, en tant que collectivité, le moyen de prévenir ou de faire disparaître ce qu’il faut bien appeler une injustice. Ainsi, moi, je peux donner, et l’autre ne peut que recevoir ! Peut on, alors, parler de générosité, de solidarité entre deux personnes dont l’un est le privilégié, l’autre le « débiteur » obligé ? Et ce débiteur, n’est il pas victime, en plus de ses souffrances, d’un certain désintérêt, voire d’une sorte de mépris de ma part ? Si je prends conscience de cette situation déplaisante pour moi, comment y remédier ?
Le « Père de l’Anarchie » prétendait que la Justice, la Morale, ce n’est pas de confier à une Autorité quelconque , le plus souvent dépendante d’un Etat ou d’une Divinité, le soin de distribuer des punitions ou des bénédictions. La justice, c’est le respect de la dignité de chacun par chacun et cette dignité doit être défendue généreusement, sans restriction, et quelque soit le combat à mener pour y parvenir. Or, dans le cas qui nous occupe, c’est bien la dignité de celui qui souffre qui est atteinte par l’injustice que « ma » collectivité », l’Etat, en l’espèce, lui fait subir.
Le combat contre l’organisation et la pérennisation de la pauvreté est d’autant plus important que, sans lui, sans une large explication de ce qui le justifie, la simple « aide charitable » est un mode efficace de tenir en laisse ceux qui en bénéficient. Elle est depuis la nuit des temps le moyen, pour les pouvoirs de toute espèce, de freiner la résistance à l’injustice, de réduire toute velléité de révolte, de prêcher la résignation, de considérer la pauvreté comme un phénomène naturel et fatal.
Lorsqu’on examine les gigantesques proportions qu’ont pu prendre, depuis un siècle, cette « Organisation Charitable », on ne peut qu’être effaré de l’étendue des méfaits de ce que l’on pourrait appeler, par référence à Pierre Joseph, une « Philosophie de la Misère ». Nous sommes loin des « Bureaux de Bienfaisance » de l’époque de Napoléon trois. Le but est identique, faire taire les pauvres, organiser la pauvreté au mieux. Mais aujourd’hui la « démesure », la croissance, la compétitivité, la stratégie commerciale sont là. Outre la corruption, inhérente au système capitaliste (exemple La Ligue contre le Cancer), les rivalités entre organismes de charité, (exemple le patron du « Sidaction » se plaint de celui du « Téléthon » qui lui mange la laine sur le dos), tous les organismes mondiaux de charité non gouvernementale, subventionnés par les pouvoirs d’Etat, se font concurrence en usant de tous les moyens de propagande ou de contre propagande.
Alors, dans ce discours anti charitable, il ne s’agit pas de porter un jugement sur le fait individuel de porter secours à celui qui est dans la détresse. Au contraire, il s’agit de mettre en relief un contre sens : en croyant contribuer à la réduire on installe la pauvreté. En participant à cette sinistre croisade des puissants et des privilégiés pour conserver le fruit de leur injustice, de leur absence de respect des individus, on renonce à la Justice, on favorise le maintien et le développement de toutes les iniquités de la Société.
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